Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/497

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semblable à la sienne, serais-je vaincu pour cela ? Devrais-je me désespérer pour n’avoir rien découvert dans la créature qui fût comparable au Créateur.
10. Non, mes frères, je ne découvrirai dans le temps rien que je puisse mettre en regard de l’éternité. Et toi, qu’as-tu découvert ? qu’as-tu découvert en fait de comparaisons ? Tu as découvert qu’un père est plus ancien que son fils, et parce que dans le temps un père est plus ancien que son fils, tu prétends que dans l’éternité le Fils soit aussi moins âgé que son Père ? Mais pour établir une comparaison véritable, montre-moi ici un père éternel. C’est dans le temps que tu me montres le fils moins âgé que son père ; le père et le fils sont également soumis au temps ; mais pourrais-tu me signaler un père qui fût éternel et son fils moins âgé que lui ? Le caractère de l’éternité est la stabilité même, la variété est le caractère du temps ; dans l’éternité tout est immobile, tout vient et s’en va dans le temps ; et si dans cette révolution du temps tu vois le fils succéder à son père, c’est que ce père à son tour a succédé à son propre père qui n’était pas plus éternel que lui. Comment voulez-vous donc, mes frères, que nous reconnaissions dans la créature quelque chose de coéternel, puisque nous sommes incapables d’y rien apercevoir d’éternel ? Montre-moi dans l’univers créé un père éternel et je t’y indiquerai un fils co-éternel. Mais si tu n’y découvres rien d’éternel, si le père et le fils sont différents d’âge, ne suffit-il pas, pour établir une comparaison, que nous nous arrêtions à ce qui est de même âge ? Autre chose « ce qui est éternel, et autre chose ce qui est de même âge. Nous appelons hommes de même âge ceux qui vivent depuis le même moment ; l’un n’est pas né avant l’autre, tous deux néanmoins sont commencés. Eh bien ! si nous parvenons à rencontrer un être produit qui soit de même âge que celui dont il émane ; s’il est possible de signaler deux êtres de même âge, l’un qui engendre et l’autre qui soit engendré, ne pourrons-nous pas y voir une image de ce qui est coéternel ? En voyant ici un être engendré commencer en même temps que son père, ne comprendrons-nous pas que le Fils de Dieu n’a aussi, en même temps que son Père, jamais eu de commencement ? Oui, mes frères, si nous reconnaissons qu’un être produit a commencé en même temps que celui dont il émane, si l’un a commencé avec l’autre, pourquoi le Fils ne serait-il pas sans commencement aussi anciennement que son Père ? Il y aurait là, coévité et ici, coéternité.
11. Votre sainteté a compris sans doute ce que je viens de dire, savoir, que l’on ne saurait comparer ce qui est temporel à ce qui est éternel, mais qu’on peut établir quelque faible et légère similitude entre ce qui est contemporain et ce qui est coéternel. Cherchons donc des êtres contemporains, et demandons à l’Écriture même l’idée de ces rapprochements. Nous y lisons que la Sagesse « est l’éclat de l’éternelle lumière, et le miroir sans tache de la majesté divine [1]. »
Ainsi la Sagesse est appelée l’éclat de l’éternelle lumière et l’image du Père : puisons là, dans ce qui est créé en même temps, des rapprochements qui nous donnent l’intelligence de ce qui est coéternel. O Arien, si je constate qu’un être producteur n’est pas plus ancien que l’être produit par lui et que l’être produit n’a pas moins d’âge que celui dont il procède, tu devras m’accorder que dans la nature créatrice deux personnes peuvent être coéternelles, puisqu’en effet deux êtres sont absolument contemporains dans la nature créée. Quelques-uns de mes frères, je crois, saisissent déjà toute ma pensée ; plusieurs en effet l’ont devinée quand j’ai rapporté ces paroles : « Elle est l’éclat de l’éternelle lumière. » Le feu donc produit la lumière, la lumière jaillit du feu. Nous allumons la lampe chaque jour ; suions examinions alors comment la lumière naît du feu, notre esprit se reporterait sur un mystère invisible et ineffable, et le flambeau de notre intelligence pourrait s’allumer aussi durant l’épaisse nuit du siècle. Considère avec attention un homme qui allume sa lampe. Avant que cette lampe soit allumée, on n’y voit ni le feu ni l’éclat qui en jaillit. Dis-moi, maintenant : Est-ce la lumière qui vient du feu ou le feu qui vient de la lumière ? Chacun me répondra, car Dieu a semé dans tous les esprits les idées premières de l’intelligence et de la sagesse ; chacun donc me répondra, et me répondra sans hésiter, que la lumière vient du feu, et non pas le feu de la lumière. Supposons donc que le feu est le père de cette lumière, et n’oublions pas que nous cherchons ici des phénomènes contemporains et non pas coéternels. Eh bien ! quand je veux allumer ma lampe, il n’y a ni feu ni lumière, et sitôt que je l’ai allumée, le feu s’y montre en même temps due la lumière. Fais-moi voir ici du feu

  1. Sag. 7, 26