Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/509

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à son occasion que Jésus Notre-Seigneur a voulu nous expliquer la vision de Jacob.
3. Vous êtes instruits à l’école du Christ, vous savez que Jacob s’appelle en même temps Israël. Le même homme porte deux noms : le premier, qui signifie supplantateur, lui fut donné au moment de sa naissance. Esaü en effet naquit le premier de ces deux frères jumeaux, et on remarqua que la main de Jacob lui tenait le pied ; il lui tenait le pied pendant qu’Esaü sortait le premier du sein maternel, et lui-même n’en sortit qu’après. Or c’est parce qu’il lui tenait ainsi la plante du pied qu’il fut appelé Jacob[1], c’est-à-dire supplantateur. Plus tard, lorsqu’il revenait de Mésopotamie, il lutta sur la route contre un ange. Un homme peut-il lutter vraiment avec un ange ? Ici donc il y a un mystère, une espèce de sacrement, une prophétie, une figure, que nous devons nous attacher à comprendre. Remarquez de plus, en effet, comment lutta Jacob. Il l’emporta sur l’ange, dans la lutte, ce qui renferme une signification profonde ; et après l’avoir emporté sur lui, il le retint ; oui, l’homme vainqueur retint l’ange vaincu. « Je ne te laisse pas aller, lui dit-il, si tu ne me bénis. » Quelle idée de Jésus-Christ dans cette bénédiction donnée par le vaincu au vainqueur ! Ce fut alors que cet ange, en qui nous voyons Jésus Notre-Seigneur, dit à Jacob : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, tu porteras le nom d’Israël ; » Israël, qui voit Dieu. Il lui toucha ensuite le nerf de la cuisse, dans toute son étendue ; et ce nerf se dessécha, et Jacob devint boiteux[2]. Voilà ce que fit le vaincu. Même après sa défaite il fut capable de toucher la cuisse de son vainqueur et de le rendre boiteux. N’est-ce donc pas volontairement qu’il fut vaincu ? C’est qu’il avait le pouvoir de déposer ses forces, et le pouvoir de les reprendre[3]. S’il ne s’irrite point d’être vaincu, il ne s’irrite point non plus d’être crucifié. Il bénit même son vainqueur en lui disant : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, mais Israël. » Ainsi le supplantateur voyait Dieu. Je l’ai déjà dit, l’ange en touchant Jacob le rendit boiteux. Vois dans Jacob la figure du peuple juif : vois-y d’abord ces milliers d’hommes qui suivaient et qui précédaient le Seigneur sur sa monture, qui s’unissaient aux Apôtres pour adorer le Seigneur et qui s’écriaient : « Hosanna au Fils de David ; béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur[4] ! » Voilà Jacob en tant qu’il a reçu la bénédiction. S’il est resté boiteux, c’est pour représenter les Juifs restés dans le Judaïsme. L’étendue du nerf blessé désigne le grand nombre de Juifs qui ne sont pas Chrétiens. Il est un psaume qui parle d’eux. Ce psaume prédit d’abord la conversion des gentils. « Un peuple que je ne connaissais pas m’a servi, il m’a prêté une oreille docile. » Ainsi donc la foi vient par l’audition, et l’audition par la parole du Christ[5]. Le Psaume continue : « Mes enfants rebelles m’ont menti, mes enfants rebelles se sont en« durcis et ont boité dans leurs voies[6]. » Voilà bien Jacob, Jacob béni et Jacob boiteux.
4. N’oublions pas, à cette occasion, d’examiner une question qui pourrait se présenter à quelqu’un d’entre vous et le préoccuper. Abraham aussi, l’aïeul de Jacob, changea de nom. Il s’appelait d’abord Abram et Dieu lui donnant un autre nom lui dit : « Tu ne t’appelleras plus Abram, mais Abraham[7]. » Pourquoi donc, désormais, ne s’appelle-t-il plus Abram ? Feuilletez les Écritures et vous remarquerez qu’avant de recevoir un nom nouveau il n’était désigné que sous le nom d’Abram : et qu’après avoir reçu ce nouveau nom, il ne s’appelait plus qu’Abraham. Pour changer le nom de Jacob ont dit comme à Abraham : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, mais tu l’appelleras Israël. » Eh bien ! feuilletez aussi les Écritures, et vous observerez que Jacob porta toujours ces deux noms de Jacob et d’Israël. Abraham, après son changement de nom, ne fut plus appelé qu’Abraham ; et après avoir également changé de nom, Jacob fut appelé en même temps Jacob et Israël. C’est que la signification du nom d’Abraham devait recevoir son accomplissement dans ce siècle : ce nom signifie en effet qu’Abraham est devenu le père de peuples nombreux, tandis que le none d’Israël nous reporte vers l’autre monde où nous verrons Dieu. Aussi le peuple de Dieu, le peuple chrétien est maintenant tout à la fois Jacob et Israël, Jacob en réalité et Israël en espérance. Ce peuple puîné n’a-t-il pas effectivement supplanté son frère aîné ? N’avons-nous pas supplanté le peuple juif ? Nous pouvons dire que nous les avons supplantés, puisque c’est à cause de nous qu’ils le sont. S’ils n’étaient tombés dans l’aveuglement, ils n’auraient pas crucifié le Christ ; si le Christ n’eût été crucifié, son sang précieux n’eût pas été

  1. Gen. 25, 25
  2. Gen. 32, 24-32
  3. Jn. 10, 18
  4. Mat. 21, 9
  5. Rom. 10, 17
  6. Psa. 17, 45- 46
  7. Gen. 17, 5