Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/518

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où te placer. Ne t’imagine point qu’en voulant faire le mal tu troubles les desseins de Dieu. Quoi Celui qui a su te créer, ne saura te placer ? Ton avantage est de faire des efforts afin d’obtenir d’être en bon lieu. Qu’est-il dit de Juda par l’Apôtre Pierre ? « Il est allé en son lieu [1]. » Ainsi l’a ordonné la divine providence pour le punir d’avoir voulu opiniâtrement faire le mal, sans que Dieu lui-même l’ait rendu mauvais. Ce malheureux a voulu être pécheur, il a fait comme il a voulu, mais il a souffert ce qu’il ne voulait pas. Son crime est d’avoir fait ce qu’il voulait ; la gloire de Dieu est de lui avoir fait souffrir ce qu’il ne voulait pas.
6. Pourquoi ces réflexions ? Afin de vous faire comprendre, mes frères, combien Jésus-Christ Notre-Seigneur avait raison de dire : « Mon Père agit sans cesse », puisqu’il ne délaisse pas la créature sortie de ses mains. En ajoutant : « Et moi j’agis comme lui », il indique qu’il est l’égal de Dieu. « Mon Père agit sans cesse, et moi j’agis avec lui. » Ainsi est combattue l’idée charnelle que les Juifs se faisaient du sabbat. Ils s’imaginaient donc que Dieu s’était reposé de ses fatigues pour ne plus rien faire. Mais à ces mots : « Mon Père agit sans cesse », ils se troublent ; et à ceux-ci qui montrent le Sauveur égal à Dieu « Et moi j’agis avec lui », ils se troublent encore. Ah ! ne craignez point. C’est l’eau qui se trouble, c’est un malade qui doit être guéri. Qu’est-ce à dire ? Le trouble où ils entrent conduira le Seigneur à la mort. Le Seigneur souffre en effet son sang, précieux est répandu, le pécheur est racheté et la grâce accordée au coupable qui s’écrie. « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? C’est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur[2]. » Et quel traitement lui fait-on suivre ? On l’oblige à descendre. Cette piscine était en effet construite de manière qu’il fallait y descendre au lieu d’y monter. Pourquoi avait-elle cette forme ? Parce que la passion du Sauveur exige l’humilité. Humble, descends, et si tu veux être guéri, garde-toi de l’orgueil. Pourquoi aussi n’y avait-il qu’un malade pour guérir ? Parce qu’il n’y a qu’une seule Église dans tout l’univers, c’est une recommandation en faveur de l’unité ; cette guérison accordée à un seul en est le symbole. Vois donc ici l’unité, et pour ne rester pas malade, garde-toi de t’en écarter.
7. Pourquoi maintenant ce malade avait-il trente-huit ans ? Je sais ; mes frères, que j’en ai déjà dit la raison ; mais si on oublie en lisant le texte, que ne fait-on pas lorsqu’on ne l’entend lire que rarement ? Que votre charité fasse donc encore un peu d’attention. Le nombre quarante figure la perfection de la justice. En effet, comme nous vivons ici au milieu des travaux, dans la détresse, dans la contrainte, dans le jeune, parmi les veilles et les afflictions, l’exercice de la justice consiste à supporter le poids de la vie, et à jeûner en quelque sorte en renonçant au siècle, à se priver, non pas des aliments corporels, ce que nous ne faisons que rarement, mais de l’amour du monde. Ainsi on accomplit la loi quand on renonce au siècle. Comment d’ailleurs aimer ce qui est éternel, si on ne cesse d’aimer ce qui est temporel ? Considérez l’amour naturel : n’est-il pas comme la main du cœur ? Si cette main tient un objet, elle ne saurait en tenir un autre, et pour recevoir ce qu’on lui donne, il faut qu’elle laisse ce qu’elle tient. Eh bien ! entendez-moi, je parle clairement. Celui qui aime le siècle ne saurait aimer Dieu, car il a la main pleine. Prends ce que je te donne, dit le Seigneur. Mais il ne veut pas jeter ce qu’il avait à la main ; et il ne saurait recevoir ce qu’on lui offre. Ai-je dit : Que personne ne possède rien ? Si on le peut, si la perfection de la justice l’exige ainsi, qu’on renonce à tout. Mais si on n’en est point capable, si l’on en est empêché, par quelque obstacle insurmontable, qu’on possède, mais sans se laisser posséder, qu’on retienne, mais sans être retenu : qu’on reste le maître et non l’esclave de son bien, conformément à cette recommandation de l’Apôtre : « D’ailleurs, mes frères, le temps est court ; il faut même que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas ; et ceux qui achètent, comme ne possédant pas ; et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas ; et ceux qui pleurent, comme ne pleurant pas ; et ceux qui usent de ce monde, comme n’en usant pas ; car elle passe, la figure de ce monde, et je voudrais que vous fussiez exempts de soucis[3]. » Que signifie cet avertissement : Prends garde d’aimer ce que tu possèdes en cette vie ? Que ta main n’y soit pas liée, puisque c’est par elle que tu dois te saisir de Dieu ; que ton amour n’y soit point attaché, puisque c’est par lui que tu peux t’élancer vers Dieu et t’unir à ton Créateur.
8.

  1. Act 1, 25
  2. Rom. 7, 25-26
  3. 1Co. 7, 29-32