Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/557

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et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera. »
Quelle observation faire ici, mes frères ? Il y a peine ou il n’y a pas peine à demeurer dans la parole de Dieu, Si c’est une peine, considère la grandeur de la récompense ; et si ce n’en est pas une, la récompense t’est accordée gratuitement. Ah ! demeurons dans Celui qui demeure en nous. Ne pas demeurer en lui, pour nous c’est tomber ; et pour lui, s’il ne demeure pas en nous, il n’en a pas moins une demeure ; car il sait demeurer en lui-même, puisqu’il n’en sort jamais. L’homme au contraire, après s’être perdu, doit se garder de demeurer en soi ; et si le besoin nous .porte à demeurer en lui, c’est la compassion qui le détermine à demeurer en nous.
2. Maintenant, qu’il nous a montré ce que nous devons faire, examinons quelle récompense nous est offerte. Car si Jésus a commandé, il a aussi promis. Qu’a-t-il commandé ? « Si vous demeurez dans ma parole », a-t-il dit. C’est peu de chose, peu de chose à dire, mais beaucoup à faire. « Si vous demeurez. » Que signifie « Si vous demeurez ? » Si vous bâtissez sur la pierre. O mes frères, qu’il est important, qu’il est important de bâtir sur la pierre ! « Les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé, la pluie est descendue, tout est venu fondre sur cette maison, et elle n’est pas tombée, parce qu’elle était bâtie sur la pierre[1]. » Qu’est-ce donc que demeurer dans la parole de Dieu, sinon ne céder devant aucune tentation ? Et quelle récompense recevra-t-on ? « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera. » – Vous me plaignez parce que vous vous apercevez que ma voix est voilée ; aidez-moi par votre silence. « Vous connaîtrez la vérité : » quelle récompense ! On pourrait dire : Que me sert de connaître la vérité ? « Et la vérité vous délivrera. » Si tu n’aimes pas la vérité, aime la liberté. Le mot délivrer, dans notre langue, peut s’entendre de deux manières : on le prend le plus ordinairement pour exprimer que l’on sauve d’un danger, que l’on tire d’embarras. Mais dans le sens propre délivrer signifie rendre libre. Qu’est-ce que sauver, sinon assurer le salut ? Qu’est-ce que guérir, sinon rendre la santé ? Ainsi délivrer signifie rendre libre, et voilà pourquoi je disais : Si tu n’aimes pas la vérité, aime la liberté. Le mot grec exprime ce sens plus clairement encore, et on ne peut l’entendre autrement. Ce qui le prouve, c’est que les Juifs répondirent au Seigneur. « Nous n’avons été jamais esclaves de « personne ; comment dites-vous : La vérité vous « délivrera ? » la vérité vous rendra libres ? Comment nous dites-vous cela puisque nous n’avons jamais été esclaves de personne ? Vous savez que nous ne sommes assujettis à aucun esclavage ; comment donc nous promettez-vous la liberté ?
3. Ils comprenaient bien, mais ils agirent mal. Comment comprirent-ils ? – « La vérité vous délivrera », ai-je dit ; et considérant que vous n’êtes esclaves d’aucun homme, vous vous êtes écriés : « Jamais nous n’avons été esclaves. » Mais « quiconque » Juif ou Gentil, riche ou pauvre homme privé ou homme public, empereur ou mendiant, « quiconque fait le péché, est esclave du péché. » Oui, « quiconque fait le péché, est « esclave du péché », et si on reconnaît cet esclavage, on saura à qui demander la liberté. Un homme libre est saisi parles barbares, de libre qu’il était il devient esclave. Un riche compatissant l’apprend ; il considère qu’il a de la fortune et il veut le racheter. 2 va trouver les barbares, leur donne de l’argent et rachète l’esclave. Mais l’affranchir complètement, ce serait le délivrer du péché. Qui en délivre ? Est-ce un homme qui en affranchit l’homme ? Cet homme que nous venons de voir sous le joug des barbares a été racheté par son bienfaiteur, et il y a de l’un à l’autre une grande différence : il est possible pourtant que tous deux soient également esclaves de l’iniquité. Je demande à l’esclave racheté : As-tu quelque péché ? – J’en ai, répond-il. – Et toi, rédempteur, en as-tu ? – J’en ai aussi, reprend-il. – Donc ne vous vantez ni l’un ni l’autre, ni toi d’être racheté, ni toi d’avoir racheté ; mais courez tous deux au Libérateur véritable. Ce n’est pas même assez d’appeler esclaves ceux qui sont assujettis au péché ; ils sont morts ; l’iniquité a fait contre eux ce qu’ils craignent de la captivité. S’ils paraissent vivants, s’ensuit-il que le Sauveur n’a pas eu raison de dire : « Laisse les morts ensevelir leurs morts[2] » Ainsi tous ceux qui sont en état de péché, sont morts, ce sont des esclaves morts : ils sont morts parce qu’ils sont esclaves, et ils sont esclaves parce qu’ils sont morts.
4. Qui peut délivrer de la mort et de l’esclavage, sinon Celui qui est resté libre parmi les morts ? Et quel autre est resté libre parmi les morts, que

  1. Mat. 7, 24-25
  2. Mat. 8, 22