Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/586

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son Auteur. Sortie d’elle-même elle s’est comme oubliée, ne se rendant point compte de ses actes et justifiant ses crimes ; s’emportant et s’enorgueillissant au milieu de la colère, des voluptés, recherchant les honneurs, la puissance les richesses et la vanité du pouvoir. Mais qu’on la reprenne, qu’on la corrige, qu’on la montre elle-même à elle-même ; elle se déplaît alors, avoue sa laideur, désire recouvrer sa beauté perdue ; et autant la dissipation l’éloignait de Dieu, autant a confusion l’y ramène.

4. Est-ce contre elle ou pour elle que semble s’élever cette prière : « Couvrez-leur la face d’ignominie ? » On croirait voir ici un adversaire, un ennemi. Mais écoute ce qui suit et dis si ce n’est pas plutôt un ami. « Couvrez-leur la face d’ignominie, et ils rechercheront votre nom, Seigneur[1]. » N’était-ce pas les haïr, d’appeler sur eux la confusion ? Mais aussi n’est-ce pas les aimer, de vouloir qu’ils recherchent le nom du Seigneur ? Qu’y a-t-il donc ici ? Est-ce l’amour ? Est-ce la haine ? N’y a-t-il pas l’un et l’autre ? Oui, il y a en même temps haine et amour : haine contre ce qui vient de toi et amour pour toi. Qu’est-ce à dire : haine contre ce qui vient de toi et amour pour toi ? C’est-à-dire qu’il y a haine contre tes œuvres et amour pour l’œuvre de Dieu. Mais qu’elles sont tes œuvres, sinon tes péchés ? Et quelle est l’œuvre de Dieu, sinon toi-même, formé par lui à son image et à sa ressemblance : Tu dédaignes, hélas ! cette œuvre et tu te prends d’affection pour les tiennes. Tu aimes hors de toi ce que tu as fait et tu négliges en toi l’œuvre de Dieu. Ainsi tu mérites de t’égarer, de tomber, de courir loin de toi et de t’entendre appeler un « esprit qui s’en va et qui ne revient point[2]. » Ah ! tourne plutôt la vue vers Celui qui t’appelle et qui te crie : « Revenez à moi et je reviendrai à vous[3]. » Car Dieu ne se détourne point quand on le regarde, il demeure, il est immuable, pour reprendre et pour corriger. S’il est loin de toi, c’est que tu t’es éloigné de lui ; c’est toi qui t’es séparé, ce n’est pas Lui qui s’est éclipsé[4]. Ainsi donc prête l’oreille à sa voix : « Revenez à moi et je reviendrai à vous. » En d’autres termes : Quand je reviens à vous, c’est vous qui revenez à moi. Le Seigneur effectivement poursuit les fuyards et s’ils se retournent vers lui ils se trouvent éclairés. Où fuiras-tu, malheureux, en fuyant loin de Dieu ? Où fuiras-tu, en t’éloignant de Celui qui n’est enfermé dans aucun lieu et qui n’est absent nulle part ? En s’attachant à lui on trouve la liberté et le châtiment en s’en détachant. Pour qui s’éloigne il est juge et père pour qui revient.

5. L’orgueil avait produit une enflure énorme et cette enflure ne permettait point au pécheur de revenir, car il lui fallait passer par un lieu fort étroit. Aussi j’entends Celui qui s’est fait notre voie s’écrier : « Entrez par la porte étroite [5]. » On fait effort pour pénétrer, mais l’enflure empêche, et les efforts sont d’autant plus dangereux que l’enflure résiste davantage. Cette enflure en effet se trouve blessée pas l’étroitesse même du passage qu’elle veut franchir ; ainsi blessée elle augmente, et augmentant toujours comment entrera-t-elle ? Qu’elle décroisse donc. Mais par quel moyen ? Qu’elle prenne l’humilité comme remède ; qu’elle en boive le breuvage, il est amer, mais salutaire ; oui qu’elle épuise la coupe de l’humilité. Qui l’empêche de pénétrer ? Son volume même. Or l’enflure n’est pas de la grandeur, car la grandeur implique la solidité, ce que ne fait pas l’enflure. Que l’homme orgueilleux ne se croie donc pas grand ; qu’il désenfle pour le devenir, pour être en même temps solide et ferme. Ah ! qu’il ne se désire point ces biens temporels ; qu’il ne se glorifie point de l’éclat de ces choses passagères et corruptibles ; qu’il prête l’oreille à Celui qui a dit : « Entrez par la porte étroite », et encore : « Je suis la voie. » En effet, comme si le Seigneur supposait que l’orgueilleux lui demande : Quelle est cette porte étroite par laquelle j’entrerai, il ajoute : « Je suis la voie », entre par moi, et pour entrer parla porte, tu ne saurais suivre que moi. Car si j’ai dit : « Je suis la voie », j’ai dit aussi. « Je suis la porte[6]. » Pourquoi chercher par où passer, où revenir, par où entrer ? Ne va pas ici et là, tu trouves tout en Celui qui pour toi s’est fait tout, et il dit tout dans ces deux mots : Sois humble, sois doux. Ces paroles sont claires, écoutons-les et sache ainsi où est la voie, ce quelle est et où elle mène. Où veux-tu aller ? Ton avarice te porterait-elle à vouloir tout posséder ? « Tout, dit le Sauveur, m’a été donné par mon Père[7]. » Diras-tu que si tout a été donné au Christ, ce n’est pas à toi ? Écoute l’Apôtre ; écoute-le pour ne te laisser pas abattre par le désespoir, ainsi que je l’ai dit déjà ; apprends de lui combien tu as été aimé quand tu étais tout couvert de laideur et d’ignominie,

  1. Psa. 82, 17
  2. Ps. 77, 39
  3. Zach. 1, 3
  4. Voir traité 2e sur Saint Jean, n° 8.
  5. Mat. 7, 13
  6. Jn. 10, 7
  7. Mat. 11, 27