Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/63

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7. A quelle époque la dissimulation pourra-t-elle, sans obstacle, se glorifier sous le nom menteur de la justice ; s’attribuer par orgueil le titre usurpé de mère et les œuvres spirituelles et vivantes quelle n’a point produites, qu’elle avait conçues pourtant, puis étouffées sous le poids d’un cruel sommeil ; accuser enfin les bons et les innocents des crimes commis par elle ? A quelle époque la dissimulation régnera-t-elle ainsi ? N’est-ce pas à l’époque où l’iniquité abondera, c’est-à-dire où les œuvres de ténèbres prévaudront comme à l’aide de l’obscurité d’une nuit sombre ; et où la charité de beaucoup se refroidira[1], c’est-à-dire où cette mère des œuvres spirituelles s’endormira comme s’est endormie la mère du fils vivant ? Ce refroidissement de la charité sera une diminution d’ardeur ; car il n’est pas dit qu’elle s’éteindra, qu’elle ne sera plus. Ainsi la mère de l’enfant s’endormit sans faire périr son fils, pourtant elle donna lieu aux feintes de la dissimulation. Mais à son réveil elle entendra les impies lui reprocher l’impiété qui est leur œuvre et non la sienne ; elle verra la dissimulation se glorifier des œuvres spirituelles de la grâce qu’elle-même a conservée avec soin, se dire la mère des bonnes œuvres et l’accuser même d’injustice : alors elle implore le secours du juge pacifique, du vrai Salomon. Salomon rend deux sentences. La première semble dénoter, qu’il ignore la vérité ; la seconde témoigne qu’il prononce avec une parfaite connaissance. La première propose le combat à la piété, la seconde décerne la couronne au vainqueur. Dans la première se révèle la véritable mère, dans la seconde elle est comblée de joie. Dans la première elle abandonne en pleurant le fruit de ses entrailles, à la seconde elle rapporte ses gerbes avec une vive allégresse[2]. Ceci fait allusion, dans la vie de l’Église, à deux temps que règle Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Juge pacifique : l'un est le présent, l’autre l’avenir : l’un est le temps de l’épreuve, l’autre celui du couronnement.
8. Mais la charité ne saurait se révéler, dans l’Église du Christ, d’une manière plus éclatante, qu’en méprisant même l’honneur humain, pour ne pas diviser les membres de l’enfant et ne point déchirer les chrétiens faibles en déchirant l’unité. L’Apôtre en effet a dit qu’il a été une mère pour ces petits du Christ au milieu desquels il avait répandu la bonne semence de l’Évangile, non pas lui toutefois, mais la grâce de Dieu avec lui. Car cette courtisane n’avait à elle que ses péchés ; sa fécondité était un don de Dieu ; don qui devait l’attacher d’autant plus au Bienfaiteur, qu’elle ne méritait que le supplice ; aussi le Seigneur a dit d’elle avec raison : « Celle à qui on remet davantage, aime davantage [3]. » L’apôtre Paul dit donc : « Je me suis fait petit parmi vous, comme une nourrice qui soigne ses enfants.[4]» Mais lorsqu’en recherchant une gloire qui ne lui est pas due, la Dissimulation expose l’enfant à être partagé et ne craint pas de rompre l’unité ; que pour conserver tous les membres et la vie à son fils, la mère sache alors mépriser son honneur personnel. Ne pourrait-il pas arriver qu’en revendiquant avec trop d’opiniâtreté sa gloire de mère, elle donne lieu à la Dissimulation de diviser par le glaive les membres délicats du nouveau-né ? Qu’elle dise donc alors avec sa maternelle affection : « Donnez-lui l’enfant. – Qu’importe ! pourvu que le Christ soit annoncé, ou par occasion, ou par un vrai zèle[5]. » N’est-ce pas cette Charité qui crie dans Moïse « Seigneur, pardonnez-leur ou effacez-moi du livre de vie[6] ? » C’est la Dissimulation au contraire qui dit parla bouche des Pharisiens : « Si nous le laissons, les Romains viennent, ruinent notre pays et notre nation[7]. » Ce qu’ambitionnaient ces Pharisiens, ce n’était pas d’être, mais de paraître justes ; ils voulaient par le mensonge obtenir l’honneur qui n’est dû qu’à la justice. Dieu permit toute fois que la Dissimulation qui régnait en eux s’assit sur la chaire de Moïse, et le Seigneur put enseigner : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font.[8] » Il voulut que jouissant d’une considération imméritée, ils nourrissent les petits et les faibles de la vérité des Écritures. De la Dissimulation même vient le crime d’avoir étouffé dans la pesanteur de son sommeil l’homme nouveau qu’elle avait reçu de la grâce divine : mais le lait de la foi est en elle sans venir d’elle ; car après le meurtre de son enfant, symbole de la vie nouvelle, la Dissimulation, malgré ses mauvaises mœurs, conserve dans sa mémoire comme dans de fécondes mamelles, les enseignements de la foi et la doctrine que le Christ fait distribuer à tous ceux qui s’approchent de l’Église ; et la marâtre même pouvait donner de ce lait de la vraie foi à l’enfant étranger qui prenait son sein. Ce qui rassure la mère véritable, c’est que les

  1. Mt. 24, 12
  2. Ps. 125, 4
  3. Lc. 7, 47
  4. 1 Thes. 2, 7
  5. Phil. 1, 18
  6. Exod. 32 ,31-32
  7. Jn. 11, 48
  8. Mt. 23, 3