Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/67

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Si donc Adimante avait en vue ce passage, pourquoi a-t-il ajouté les Puissances et les Vertus, dont il n’y est point parlé, et pourquoi a-t-il retranché de ce siècle, qui s’y lit en toutes lettres ? Je désire qu’il l’ait fait, plutôt par erreur que par malice. Lors même cependant que l’Apôtre se serait exprimé comme il suppose, s’ensuivrait-il que le démon n’a pu entendre la voix de Dieu ? Il est écrit qu’il s’est présenté à la vue de Dieu, il n’est pas écrit qu’il ait vu Dieu. On entend par princes de ce siècle soit les hommes orgueilleux qui font étalage d’une vaine pompe ; soit le diable et ses anges, car le Seigneur le nomme expressément le prince ou le magistrat de ce siècle[1]. Sous le nom de ce siècle en effet on comprend les pécheurs dont l’espoir ne se porte pas au-delà. On dit d’une maison qu’elle est ruinée, quand on veut le dire de ceux qui l’habitent ; ainsi on dit que le siècle est pervers, quand on parle de ceux dont le cœur y est attaché, c’est-à-dire, dont la vie n’est pas dans les cieux, conformément à ces paroles de l’Apôtre : « notre vie est dans les cieux[2]. » Or du diable dépendent tous les péchés ; car c’est lui qui a voulu porter le libre arbitre au péché, et pour ce motif il est appelé le prince de ce siècle. Gravez cette règle d’interprétation dans vos cœurs ; elle vous servira, avec le, secours du Seigneur, à discuter et à éclaircir plusieurs passages des Écritures, où ces hérétiques cherchent des arguments en faveur de leur fausse doctrine.
3. Ainsi donc il n’est pas écrit que le diable a vu Dieu, mais seulement qu’il est venu en sa présence avec les Anges et qu’il a entendu sa voix. Pourquoi alors ces misérables s’attachent-ils à calomnier les Écritures et à corrompre la foi des simples en prétendant que le diable a vu Dieu ? Cette courte réponse fait tomber leur accusation ; quelle que soit leur loquacité quand ils demandent comment le démon a pu voir Dieu, nous nous contentons de répondre ; le démon n’a point vu Dieu. Ils répliqueront : Comment donc lui a-t-il parlé ? Ici pour lors ce n’est pas nous, ce sont les aveugles qui les convaincront d’aveuglement. Les aveugles en effet ne causent-ils point chaque jour avec ceux qu’ils ne peuvent voir ? – Comment, insistent-ils, le démon s’est-il présenté à la vue de Dieu ? – Comme l’aveugle se présente à la vue de celui qui le voit et qu’il ne peut voir. Permettez-nous ces comparaisons, mes très-chers frères, afin de mettre à nu la mauvaise foi de ces hommes charnels, afin, s’il est possible, que réfutés par ce moyen, ces cœurs impies sentent qu’ils ont besoin de s’instruire.. Est-ce que Dieu est circonscrit quelque part ? Est-ce qu’il n’est pas présent à toute conscience, des Anges et des hommes, des bons et des méchants ? Il y a toutefois cette différence ; qu’il est dans la conscience des bons comme un père, et comme un juge dans la conscience des méchants. C’est ce qui est écrit : « Le Seigneur interroge le juste et l’impie [3]. – L’impie sera interrogé sur ses pensées[4]. » Sa voix ne retentit pas plus fort aux oreilles que dans ce sanctuaire de la pensée où seul il entend, où seul il se fait entendre. Est-ce que les méchants eux-mêmes, quand il leur arrive de dire la vérité sans qu’on les croie, ne jurent pas en ces termes : Dieu m’est témoin ? et ils disent vrai. Mais où Dieu leur est-il témoin ? Sur la langue ou dans le cœur ? dans le son de la voix ou le silence de la conscience ? Et pourquoi s’irritent-ils souvent quand on ne les croit pas quoiqu’ils soutiennent la vérité ? N’est-ce point parce qu’ils ne peuvent nous ouvrir leur cœur où ils ont Dieu pour témoin ?
4. Dieu peut nous parler de bien des manières. Il nous parle, tantôt par quelque moyen extérieur, comme par le livre des divines Écritures ; et tantôt au moyen de quelqu’une de ses créatures, comme aux Mages par le moyen de l’étoile[5] ; le langage est-il effectivement autre chose que l’expression de la volonté ? Il parle au moyen du sort : ainsi fit-il connaître qu’il fallait ordonner Matthias à la place de Judas[6]. Il parle par les hommes, ainsi par les prophètes. Il parle par les Anges, comme nous apprenons qu’il parla à quelques-uns des Patriarches, des Prophètes et des Apôtres. Il parle au moyen de quelque bruit, de quelque voix formée par lui : ainsi nous lisons et nous sommes sûrs que des voix descendirent du ciel, quand on ne voyait personne. Enfin Dieu parle à l’homme lui-même, non en frappant à l’extérieur ses oreilles ou ses yeux, mais en s’adressant intérieurement et de plusieurs manières à son âme. Quelquefois en songe : ainsi défendit-il à Laban le Syrien de nuire à son serviteur Jacob en quoi que ce fût[7] ; et fit-il connaître à Pharaon les sept années d’abondance et les sept autres de disette[8]. D’autres fois il transporte l’esprit de l’homme et le met en extase,

  1. Jn. 12, 31
  2. Phil. 3, 20
  3. Ps. 10, 6
  4. Sag. 1, 9
  5. Mt. 2, 2
  6. Act. 1, 26
  7. Gen. 31, 24
  8. Id. 41, 1-32