Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/73

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qui était sans péché. « Personne, lui dit-il, ne t’a condamné ? — Personne, Seigneur, » et si vous ne me condamnez pas non plus, je suis tranquille. Et pour la calmer aussitôt, « Non, reprit le Seigneur, je ne te condamnerai pas non plus[1]. » Ni moi, quoique je sois sans péché, je ne te condamnerai pas. La voix de la conscience a forcé tes accusateurs à renoncer à te punir : le cri de la miséricorde m’inspire de venir à ton secours.
6. Retenez cela et « instruisez-vous, vous tous qui jugez la terre. » Tous, car il faut entendre cette expression dans le même sens que ce passage de l’Apôtre : « Que toute âme, dit-il, soit soumise aux puissances supérieures, car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et celles qui sont, ont été établies de Dieu. Résister à la puissance, c’est donc résister à l’ordre de Dieu ; car les princes ne sont pas à craindre pour les bonnes œuvres, mais pour les mauvaises. Veux-tu ne pas craindre la puissance ? fais-le bien, et elle servira à ta gloire[2]. » Et si elle ne te loue pas elle-même, elle servira encore à ta gloire. En effet, ou tu fais le bien, et une puissance juste te louera ; ou bien si malgré ta justice une puissance injuste te condamne, le Dieu juste te couronnera. Par conséquent, tiens ferme à la justice, fais le bien, et condamné ou absous par elle, elle servira à ta gloire. Heureux celui dont le sang a été ici répandu ! La puissance qui a semblé le juger n’a-t-elle point servi à sa gloire, avant et après sa condamnation ? Il fit sa profession, demeura ferme dans la foi, ne craignit point la mort, versa son sang et vainquit le démon[3].
7. Afin donc de n’être pas des puissances d’iniquité, vous tous qui voulez avoir autorité sur les hommes, instruisez-vous pour ne pas mal juger et pour ne pas perdre la vie de l’âme avant même de faire perdre à qui que ce soit la vie du corps. Tes mérites ne suffisant pas, tu veux devenir juge à prix d’argent : je.ne t’en blâme pas encore. Tu veux peut-être te rendre utile au publie et tu en achètes le pouvoir ; peut-être est-ce pour servir la justice que tu ne ménages point ton argent. Sois d’abord juge pour toi-même, juge-toi toi-même, afin que tu puisses t’occuper d’autrui avec la conscience tranquille. Rentre en toi-même, regarde-toi, examine-toi, écoute-toi. Je veux voir ton intégrité de juge là où tu ne demandes point de témoin. Tu veux te montrer en public avec l’appareil de la puissance afin que l’on te dise, d’un homme que tu ne connais pas : Juge-le d’abord en toi-même. Mais ta conscience ne te dit-elle rien ? Si tu veux être sincère, elle t’a parlé. Je ne demande pas à savoir ce qu’elle a dit : à toi d’en juger. Elle t’a dit ce que tu as fait, ce que tu as reçu, en quoi tu as péché. Quelle sentence as-tu prononcée ? Je voudrais le savoir. Si tu as bien écouté, si tu as écouté avec droiture, si en t’écoutant tu t’es montré juste, si tu es monté sur le tribunal de ta conscience, si tu t’es placé toi-même devant toi-même sur le chevalet intérieur, si tu as pris pour bourreaux des craintes sérieuses, oui, tu t’es bien écouté si tu as fait ainsi, et nul doute que dans ton repentir tu ne te sois infligé la punition de tes fautes. Ainsi tu t’es examiné, tu t’es écouté et tu t’es châtié ; cependant tu t’es pardonné. C’est ainsi que tu dois écouter le prochain si tu veux être fidèle à ce que dit le Psaume ; « Instruisez-vous, vous tous qui jugez la terre. »
8. Si tu juges ainsi le prochain comme tu te juges toi-même, tu en veux au péché, non au pécheur ; et s’il arrive que tu aies affaire à un opiniâtre qui ne craigne point Dieu, c’est à cette opiniâtreté même que tu en voudras, c’est elle que tu chercheras à corriger en lui, que tu travailleras à détruire, à anéantir afin de sauver le coupable en condamnant l’iniquité. On peut distinguer ici deux choses : l’homme et le pécheur. Dieu a fait l’homme et l’homme s’est fait pécheur. Mort à ce qu’à fait l’homme ! Délivrance à ce qu’a fait Dieu [4] ! Ne va donc pas jusqu’à ôter la vie au coupable en punition de son crime. Ne lui ôte pas la vie, afin qu’il puisse se repentir : ne le fais pas périr, afin qu’il puisse se corriger. En conservant dans ton cœur cet amour pour ceux qui sont hommes comme toi, sois juge de la terre ; aime à effrayer, mais par bienveillance. Si tu as de la fierté, déploie-la contre le péché, non contre le pécheur. Sévis contre ce qui te déplaît aussi en toi, non contre celui qui a été fait comme toi. Vous êtes l’un et l’autre sortis de la même main, l’œuvre du même Auteur, formés de la même matière. Pourquoi perdre, par défaut de charité, celui que tu juges ? C’est qu’en n’aimant pas pet homme que tu juges, tuas perdu la justice même. Qu’on applique les peines ; je ne m’y refuse pas, je ne le défends pas, mais avec amour, avec affection, avec le désir d’obtenir l’amendement.
9. Tu ne laisses pas ton fils sans éducation. Mais tu cherches d’abord à réussir près de lui par l’honneur et la

  1. Jn. 8, 3-11
  2. Rom. 13, 1-3
  3. Le martyr S. Cyprien.
  4. Voir 12 Traité sur S. Jean, n° 3.