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LUTIN

pour se défendre. « Puisque tu voulais la tuer, dit-il à son jardinier, et qu’elle est venue se réfugier auprès de moi, je te défends de lui faire aucun mal ; je veux la nourrir ; et quand elle aura quitté sa belle peau, je la laisserai aller. » Il retourna chez lui, il la mit dans une grande chambre dont il garda la clef ; il lui fit apporter du son, du lait, des fleurs et des herbes pour la nourrir et pour la réjouir. Voilà une couleuvre fort heureuse ! Il allait quelquefois la voir ; dès qu’elle l’apercevait, elle venait au devant de lui, rampant et faisant toutes les petites mines et les airs gracieux dont une couleuvre est capable. Ce prince en était surpris ; mais cependant il n’y faisait pas une grande attention.

Toutes les dames de la cour étaient affligées de son absence ; on ne parlait que de lui on désirait son retour : « Hélas ! disaient-elles, il n’y a plus de plaisirs à la cour depuis que Léandre en est parti : le méchant Furibon en est cause. Faut— il qu’il lui veuille du mal d’être plus aimable et plus aimé que lui ? Faut-il que pour lui plaire il se défigure la taille et le visage ? Faut-il que pour lui ressembler il se disloque les os, qu’il se fende la bouche jusqu’aux oreilles, qu’il se rapetisse les yeux ou qu’il s’arrache le nez ? Voilà un petit magot bien injuste ! Il n’aura jamais de joie en sa vie, car il ne trouvera personne qui ne soit plus beau que lui. »

Quelque méchans que soient les princes, ils ont toujours des flatteurs ; et même les méchans en ont plus que les autres. Furibon avait