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GRACIEUSE

c’est que je veux être maîtresse de votre fille, comme l’était sa mère ; qu’elle dépende entièrement de moi, et que vous m’en laissiez la disposition. — Vous en serez la maîtresse, dit le roi ; touchez-là. » Grognon mit la main dans la sienne ; ils sortirent ensemble de la riche cave, dont elle lui donna la clef.

Aussitôt il revint à son palais. Gracieuse en tendant le roi son père, courut au-devant de lui ; elle l’embrassa, et lui demanda s’il avait fait une bonne chasse. « J’ai pris, dit-il, une colombe toute en vie. — Ah ! sire, dit la princesse, donnez-la-moi, je la nourrirai. — Cela ne se peut, continua-t-il ; car, pour m’expliquer plus intelligiblement, il faut vous dire que j’ai rencontré la duchesse Grognon, et que je l’ai prise pour ma femme. — Ô Ciel ! s’écria Gracieuse dans son premier mouvement, peut-on l’appeler une colombe ? C’est bien plutôt une chouette. — Taisez-vous, dit le roi en se fachant, je prétends que vous l’aimiez et la respectiez autant que si elle était votre mère ; allez promptement vous parer ; car je veux retourner dès aujourd’hui au-devant d’elle. »

La princesse était fort obéissante ; elle entra dans sa chambre afin de s’habiller. Sa nourrice connut bien sa douleur à ses yeux. « Qu’avez vous, ma chère petite ? lui dit-elle ; vous pleurez. — Hélas ! ma chère nourrice, répliqua Gracieuse, qui ne pleurerait ? Le roi me va donner une marâtre, et, pour comble de disgrâce, c’est ma plus cruelle ennemie ; c’est, en un mot, l’affreuse