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LUTIN

Lin, qui venait si gaillardement, elle s’écria : « Bon, bon, voici un joli cheval qui reportera Abricotine au palais des plaisirs. » Lutin l’entendait bien, mais elle ne le voyait pas. Il s’approche, Gris-de-Lin s’arrête, elle se jette dessus. Lutin la serre entre ses bras, et la met doucement devant lui. Oh ! qu’Abricotine eut de peur de sentir quelqu’un et de ne voir personne ! elle n’osait remuer, elle fermait les yeux crainte d’apercevoir un esprit ; elle ne disait pas un pauvre petit mot. Le prince qui avait toujours dans ses poches les meilleures dragées du monde, lui en voulut mettre dans la bouche ; mais elle serrait les dents et les lèvres.

Enfin il ôta son petit chapeau, et lui dit : « Comment, Abricotine, vous êtes bien timide de me craindre si fort : c’est moi qui vous ai tirée de la main des voleurs ! » Elle ouvrit les yeux et le reconnut. « Ah ! seigneur, dit-elle, je vous dois tout ! il est vrai que j’avais grand’peur d’être avec un invisible. — Je ne suis point invisible, répliqua-t-il, mais apparemment que vous aviez mal aux yeux, et que cela vous empêchait de me voir. » Abricotine le crut, quoique d’ailleurs elle eût beaucoup d’esprit. Après avoir parlé quelques temps de chose indifférentes, Léandre la pria de lui apprendre son âge, son pays, et par quel hasard elle était tombée entre les mains des voleurs. « Je vous ai trop d’obligation, dit elle, pour refuser de satisfaire votre curiosité ; mais, seigneur, je vous supplie de songer moins à m’écouter, qu’à avancer notre voyage.