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GRACIEUSE

elle se farda pour se blanchir ; elle teignit ses cheveux roux en noir ; puis elle mit une robe de satin amarante doublée de bleu, avec une jupe jaune et des rubans violets. Elle voulut faire son entrée à cheval, parce qu’elle avait ouï dire que les reines d’Espagne faisaient ainsi la leur.

Pendant que le roi donnait ses ordres, et que Gracieuse attendait le moment de partir pour aller au-devant de Grognon, elle descendit toute seule dans le jardin, et passa dans un petit bois fort sombre, où elle s’assit sur l’herbe. « Enfin, dit-elle, me voici en liberté, je peux pleurer tant que je voudrai sans qu’on s’y oppose. » Aussitôt elle se prit à soupirer et à pleurer, tant et tant, que ses yeux paraissaient deux fontaines d’eau vive. En cet état elle ne songeait plus à retourner au palais, quand elle vit venir un page vêtu de satin vert, qui avait des plumes blanches et la plus belle tête du monde ; il mit un genou en terre, et lui dit : « Princesse, le roi vous attend. » Elle demeura surprise de tous les agrémeus qu’elle remarquait dans ce jeune page ; et comme elle ne le connaissait point, elle crut qu’il devait être du train de Grognon. « Depuis quand, lui dit-elle, le roi vous a-t-il reçu au nombre de ses pages ? — Je ne suis pas au roi, madame, lui dit-il, je suis à vous, et je ne veux être qu’à vous. Vous êtes à moi ? répliqua-t-elle toute étonnée ; et je ne vous connais point. — Ah ! princesse ! lui dit-il, je n’ai encore osé me faire connaître ; mais les malheurs