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LE MOUTON.

rejoindre, et qui brûlait de la connaître, fut au désespoir de ne la plus voir ; il ordonna absolument, que si jamais elle revenait, qu’on fermât toutes les portes sur elle, et qu’on la retînt.

Quelque courte que fût l’absence de Merveilleuse, elle avait semblé au Mouton de la longueur d’un siècle. Il l’attendait au bord d’une fontaine, dans le plus épais de la forêt ; il y avait fait étaler des richesses immenses pour lui offrir en reconnaissance de son retour. Dès qu’il la vit, il courut vers elle sautant et bondissant comme un vrai mouton ; il lui fit mille tendres caresses, il se couchait à ses pieds, il baisait ses mains, il lui racontait ses inquiétudes et ses impatiences ; sa passion lui donnait une éloquence dont la princesse était charmée.

Au bout de quelque temps, le roi maria sa seconde fille. Merveilleuse l’apprit, et elle pria le mouton de lui permettre d’aller voir, comme elle avait déjà fait, une fête où elle s’intéressait si fort. À cette proposition, il sentit une douleur dont il ne fut point le maître : un pressentiment secret lui annonçait son malheur ; mais comme il n’est pas toujours en nous de l’éviter, et que sa con plaisance pour la princesse l’emportait sur tous les autres intérêts, il n’eut pas la force de la refuser. « Vous voulez me quitter, madame, lui dit-il ; cet effet de mon malheur vient plutôt de ma mauvaise destinée que de vous. Je consens à ce que vous souhaitez, et je ne puis jamais vous faire un sacrifice plus complet. »