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SERPENTIN

rudement qu’elle n’en voulait point, et qu’elle était assez grande pour manger debout ; mais elle se trompa ; car la table étant un peu haute, elle ne la voyait seulement pas, tant elle était petite ; elle en eut un dépit qui augmenta encore sa mauvaise humeur. « Madame, lui dit la reine, je vous supplie de vous mettre à table. — Si vous aviez eu envie de m’avoir, répliqua la fée, vous m’auriez priée comme les autres ; il ne faut à votre cour que de jolies personnes bienfaisantes, et bien magnifiques comme sont mes sœurs ; pour moi je suis trop laide et trop vieille ; mais avec cela, je n’ai pas moins de pouvoir qu’elles, et sans me vanter, j’en ai eu peut-être davantage. » Toutes les fées la pressèrent tant de se mettre à table, qu’elle y consentit ; l’on posa d’abord une corbeille d’or, et dedans douze bouquets de pierreries : les premières venues prirent chacune la leur, de sorte qu’il n’en resta point pour Magotine ; elle se mit à grommeler entre ses dents. La reine courut à son cabinet, et lui apporta une cassette de peau d’Espagne parfumée, couverte de rubis, toute remplie de diamans ; elle la supplia de les recevoir ; mais Magotine secoua la tête, et lui dit ::« Gardez vos bijoux, madame ; j’en ai de reste, je venais seulement pour voir si vous aviez pensé à moi ; vous m’avez fort négligée. » Là-dessus elle donna un coup de baguette sur la table, et toutes les viandes dont elle était chargée, se changèrent en serpens fricassés ; les fées en eurent tant d’horreur, qu’elles jetèrent leurs serviettes, et quittèrent le festin.