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SERPENTIN

Je suis fils d’un Grand d’Espagne ; l’amour dans notre pays à des droits si absolus sur tous les cœurs, que l’on ne peut s’y soustraire, sans tomber dans le crime de rébellion. Un ambassadeur d’Angleterre arriva à la cour ; il avait une fille d’une extrême beauté, mais dont l’humeur hautaine et piquante était insupportable ; malgré cela je m’attachai à elle, je l’aimais jusqu’à l’adoration ; elle paraissait quelquefois sensible à mes soins, et d’autres fois elle me rebutait si fort, qu’elle mettait ma patience à bout : un jour qu’elle m’avait désespéré, une vénérable vieille m’aborda, en me reprochant ma faiblesse ; mais tout ce qu’elle put me dire, ne servit qu’à m’opiniâtrer, elle s’en aperçut et s’en fâcha. « Je te condamne, dit-elle, à devenir, serin de Canarie pour trois ans, et ta maîtresse mouche-guêpe. » Sur-le-champ je sentis une métamorphose en moi la plus extraordinaire du monde ; malgré mon affliction, je ne pus m’empêcher de voler dans le jardin de l’ambassadeur, pour savoir quel serait le sort de sa fille ; mais j’y fus à peine, que je la vis venir comme une grosse mouche-guêpe, ^ bourdonnant quatre fois plus haut qu’une autre ; je voltigeais autour d’elle avec l’empressement d’un amant que rien ne pouvait détacher ; elle essaya plusieurs fois de me piquer : « Voulez-vous ma mort, belle guêpe ? lui dis-je ; il n’est pas nécessaire pour cela d’employer votre aiguillon, il suffit que vous m’ordonniez de mourir, et je mourrai. » La guêpe ne me répondit rien