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L’OISEAU BLEU.

son compte de pleurer tant qu’il lui resterait des yeux à la tête. Là-dessus elle redoubla ses cris, et le roi à son exemple se mit à pleurer.

Il la reçut mieux que les autres ; il l’entretint des belles qualités de sa chère défunte, et elle renchérit sur celles de son cher défunt. Ils causèrent tant et tant, qu’ils ne savaient plus que dire sur leur douleur. Quand la fine veuve vit la matière presque épuisée, elle leva un peu ses voiles, et le roi affligé se récréa la vue à regarder cette pauvre affligée qui tournait et retournait fort à propos deux grands yeux bleus, bordés de longues paupières noires ; son teint était assez fleuri. Le roi la considéra avec beaucoup d’attention ; peu à peu il parla moins de sa femme, puis il n’en parla plus du tout. La veuve disait qu’elle voulait toujours pleurer son mari, le roi la pria de ne point immortaliser son chagrin. Pour conlusion, l’on fut tout étonné qu’il l’épousât, et que le noir se changeât en vert et en couleur de rose.

Le roi n’avait eu qu’une fille de son premier mariage, qui passait pour la huitième merveille du monde ; on la nommait Florine, parce qu’elle ressemblait à Flore, tant elle était fraîche, jeune et belle. Elle n’avait que quinze ans lorsque le roi se remaria.

La nouvelle reine envoya querir sa fille qui avait été nourrie chez sa marraine la fée Soussio ; mais elle n’en était ni plus gracieuse, ni plus belle : Soussio y avait voulu travailler et n’avait rien gagné ; elle ne laissait pas de l’aimer chèrement : on l’appelait Truitonne, car son visage avait autant de taches de rousseur qu’une truite ; ses che-