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LE RAMEAU D’OR

j’emploierai l’art de féerie que je possède souverainement, pour vous rendre heureux. — Madame, répondit le prince, si votre science vous fait pénétrer jusqu’aux sentiments du cœur, il vous est aisé de connaître que, malgré les disgrâces dont je suis accablé, je suis moins à plaindre qu’un autre. — C’est l’effet de votre bon esprit, ajouta la fée ; mais enfin ne me laissez pas la honte d’être ingrate à votre égard. Que souhaitez-vous ? je peux tout : demandez. — Je souhaiterais, répondit Torticoli, vous rendre le beau Trasimène, qui vous coûte de si fréquents soupirs. — Vous êtes trop généreux, lui dit-elle, de préférer mes intérêts aux vôtres ; cette grande affaire s’achèvera par une autre personne : je ne m’explique pas davantage. Sachez seulement qu’elle ne vous sera pas indifférente ; mais ne me refusez pas plus longtemps le plaisir de vous obliger. Que désirez-vous ? — Madame, dit le prince, en se jetant à ses pieds, vous voyez mon affreuse figure, on me nomme Torticoli par dérision ; rendez-moi moins ridicule. — Va, prince, lui dit la fée, en le touchant trois fois avec le rameau d’or, va, tu seras si accompli et si parfait, que jamais homme, devant ni après toi, ne t’égalera ; nomme-toi Sans-Pair, tu porteras ce nom à juste titre.

Le prince reconnaissant embrassa ses genoux. Elle l’obligea de se relever ; il se mira dans les glaces qui ornaient cette chambre, et Sans-Pair ne reconnut plus Torticoli. Il était grandi de trois pieds ; il avait des cheveux qui tombaient par grosses boucles sur ses épaules, un air plein de grandeur et de grâces, des traits réguliers, des yeux d’esprit ; enfin c’était le digne ouvrage d’une fée bienfaisante et sensible. Que ne m’est-il permis, lui dit-elle, de vous