Page:Austen - Emma.djvu/172

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— Nous avons grandi ensemble, en effet, et il eût été naturel que des relations d’intimité se fussent établies entre nous. Il n’en fut jamais ainsi, je ne sais trop pourquoi ; sans doute un peu par ma faute ; je me sentais mal disposée pour une jeune fille qui était de la part de sa famille et de son entourage l’objet d’une véritable idolâtrie. En second lieu l’extrême réserve de Mlle Fairfax m’a toujours empêchée de m’attacher à elle.

— Rien de moins attirant en effet ; on ne peut aimer une personne réservée.

— Non jusqu’au moment où cette réserve se dissipe vis-à-vis de soi et alors c’est un attrait de plus. Mais il me faudrait être tout à fait sevrée d’affection pour prendre la peine de conquérir de vive force une âme si bien défendue ! Il n’est plus question d’intimité entre moi et Mlle Fairfax. Je n’ai aucune raison d’avoir mauvaise opinion d’elle ; toutefois une si perpétuelle prudence en paroles et en actes, une crainte si excessive de donner un renseignement ne sont pas naturelles : on ne se tient pas à ce point sur ses gardes, sans raison.

Ils demeurèrent d’accord sur ce sujet comme sur les autres.

Frank Churchill ne répondait pas exactement à l’idée qu’Emma se faisait de lui : il s’était révélé moins homme du monde d’un certain côté, moins enfant gâté de la fortune, qu’elle n’avait anticipé. Elle fut particulièrement frappée du jugement qu’il porta sur la maison de M. Elton, dont on lui avait fait remarquer l’apparence modeste et le maigre confort. « À mon avis, avait-il dit, l’homme appelé à y vivre avec la femme de son choix est un heureux mortel. La maison me paraît suffisamment grande pour tous les besoins raisonnables ; il faut être un sot pour ne pas s’en contenter. »

Mme Weston se mit à rire et répondit :

— Vous êtes habitué vous-même à un grand train de vie et à une maison spacieuse ; vous avez joui inconsciemment de tous les avantages y afférents et vous n’êtes pas à même de connaître