Page:Austen - Emma.djvu/232

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bury sait depuis longtemps que vous avez un talent supérieur.

— Oh ! non ! du tout ; je proteste contre cette allégation, réfléchissez à quelle source vous avez puisé vos informations ! J’aime beaucoup la musique, passionnément même et je ne suis pas, au dire de mes amis, dépourvue de goût ; mais quant au reste, sur mon honneur, mon jeu est tout à fait médiocre. Mais vous, Mademoiselle Woodhouse, vous jouez, paraît-il délicieusement ; ce sera une vraie joie pour moi de vous entendre. Je ne puis pas, à la lettre, me passer de musique. Au début de notre engagement, M. Elton, en me décrivant ma future résidence, m’exprimait sa crainte que je ne trouvasse la vie trop retirée, il s’inquiétait aussi de l’infériorité de la maison ; je lui répondis : « Je renonce volontiers au monde, au théâtre, au bal et je ne crains pas du tout la solitude. Deux voitures ne sont pas nécessaires à mon bonheur pas plus que des appartements d’une certaine dimension ; mais, en toute franchise, je vous avoue que je m’habituerai difficilement à vivre dans un milieu où la musique ne serait pas en honneur. »

Il me tranquillisa aussitôt.

— Sans aucun doute, reprit Emma en souriant, M. Elton a courageusement affirmé que vous trouveriez à Highbury une réunion de mélomanes ! Vous jugerez qu’il a outrepassé la vérité plus qu’il n’était nécessaire.

— Je n’ai plus aucune inquiétude à ce sujet. Je suis enchantée. Nous devrions, Mademoiselle Woodhouse, fonder un club musical et avoir des réunions hebdomadaires chez vous ou chez moi. Qu’en dites-vous ? Si nous nous donnons la peine de faire les premiers pas, je suis sûre que nous serons bientôt suivies. De cette façon, je serai forcée d’étudier régulièrement ; les femmes mariées ont une détestable réputation à ce point de vue : elles sont très enclines à abandonner la musique.

— Pour vous qui êtes si passionnée, ce ne peut être le cas ?

— Je l’espère, mais, véritablement je ne puis m’empêcher de trembler en regardant autour de moi : Célina a complètement renoncé à la musique, elle n’ouvre jamais son piano et pourtant elle jouait d’une façon charmante. Mme Jeffereys, née Clara Partrigde, les demoiselles Milmans, maintenant Mme Bird et Mme James Cooper, sont dans le même cas. Sur ma parole, il y a de quoi se sentir inquiète. Je me suis sou-