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l’hôtel de la Couronne, mais il ne lui est pas possible d’entretenir son père, sans aide. M. Elton est rentré au bout d’un quart d’heure et il nous a mises au courant de la question et, en même temps, il nous a annoncé une nouvelle : on venait d’envoyer de la couronne une voiture à Randalls pour reconduire M. Frank Churchill à Richmond.

Mlle Bates ne donna pas le temps à Emma de dire que cette circonstance lui était inconnue ; du reste, tout en supposant son interlocutrice au courant, l’excellente demoiselle ne se crut pas moins tenue d’exposer longuement les faits.

« Peu après le retour de Box-Hill continua-t-elle, – le jeune Abdy tenait ces renseignements des domestiques de Randalls – un messager était arrivé de Richmond ; c’était du reste une chose convenue et M. Churchill avait simplement envoyé à son neveu quelques lignes pour lui donner d’assez bonnes nouvelles de Mme Churchill et le prier de revenir, sans faute, le lendemain matin, comme il était convenu. Mais M. Frank Churchill avait décidé de rentrer immédiatement et son cheval ayant pris froid, on était allé commander une voiture de l’hôtel de la Couronne ».

Emma écouta ce récit sans émotion et il ne lui suggéra que des réflexions afférentes au sujet qui occupait son esprit : elle mit en parallèle l’importance respective de Mme Churchill et de Jane Fairfax en ce monde ; elle songeait à la différence de ces deux destinées et se taisait. Mlle Bates l’interpella bientôt :

— Ah ! je le devine, vous pensez au piano ! La pauvre Jane en parlait justement, il y a quelques instants : « Il faut nous dire adieu ! disait-elle ; toi et moi devons nous séparer ! Gardez-le moi pourtant, donnez lui l’hospitalité jusqu’au retour du colonel Campbell. Je lui parlerai à ce sujet ; il me conseillera. » Je crois vraiment que Jane ignore encore si le cadeau lui vient de ce dernier ou de Mme Dixon.

Toutes les injustes suppositions qu’elle avait imaginées relativement à l’envoi du piano revinrent à l’esprit d’Emma ; elle ne voulut pas s’attarder à des souvenirs aussi pénibles et, après avoir formé de nouveau les souhaits les plus sincères pour le bonheur de Jane Fairfax, dit adieu à Mlle Bates.

(À suivre.)