Page:Avezac-Lavigne - Diderot et la Société du baron d’Holbach, 1875.djvu/120

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même réussi à se rendre tout à fait antipathique à Voltaire.

La Lettre sur les Spectacles avait fortement indisposé le poète contre le citoyen de Genève, mais elle n’aurait pas suffi pour déterminer chez lui cette haine, mêlée de pitié, qu’il voua dans la suite à Rousseau. Celui-ci, comme pour irriter davantage le chatouilleux auteur, lui avait écrit une lettre incompréhensible, dans laquelle il lui disait : « Je ne vous aime pas, Monsieur, vous avez corrompu ma patrie pour prix de l’hospitalité qu’elle vous a donnée. » Toujours il y avait dans les lettres de Rousseau quelque chose d’irritant ; sa façon de discuter, ses paradoxes, ses sophismes, impatientaient un esprit aussi bien équilibré que celui de Voltaire ; aussi avait-il fini par ne plus lui répondre. Les dernières lettres qu’ils échangèrent furent motivées par la publication du Poème sur le désastre de Lisbonne, dans lequel Voltaire combattait cette affirmation des optimistes : Tout est bien :


Philosophes trompés qui criez : Tout est bien !
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants, l’un sur l’autre entassés.
Sur ces marbres rompus, ces membres dispersés ;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits terminent sans secours,
Dans l’horreur des tourments, leurs lamentables jours.
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous : c’est l’effet des éternelles lois
Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ?
Direz-vous en voyant cet amas de victimes :
Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes.