Page:Azaïs - Jugement philosophique sur J.J. Rousseau et sur Voltaire.djvu/62

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d’une insigne faiblesse ; il n’eut plus de talent que pour le libelle et le pamphlet.

Et si nous revenons même vers le temps où il méritait, par ses travaux en tout genre, presque toutes les palmes de la littérature, nous reconnaîtrons, à l’aide de ce grand exemple, que la sagesse conseillerait à l’homme le plus ambitieux de renommée de disparaître quelquefois, de ne pas occuper sans cesse la scène du monde. Il n’est point de spectateur qui ne se lasse de la perpétuité du même spectacle, et qui même, sans être disposé à l’injustice, ne réclame avec instance un spectacle différent, dût-il être inférieur. Voltaire éprouva la peine la plus amère, lorsque, vers la maturité de son talent et de son âge, venant de produire Mérope, on s’engoua follement de Crébillon. Il se désolait ; il s’irritait ; il ne savait pas que lui seul pouvait n’être pas fatigué de l’éclat et de la durée de sa gloire.

L’homme de génie a le sentiment de sa supériorité ; c’est ce qui rend son âme inaccessible à l’envie. Il peut se plaindre, s’irriter même de ce que des productions indignes d’estime surprennent la faveur populaire ; mais il met encore plus d’empressement à reconnaître le talent, le mérite, le génie partout où ils se