Page:Bédier - Les Fabliaux, 2e édition, 1895.djvu/22

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Avait-on ce droit de laisser faire la théorie orientaliste quand elle ne vous embarrassait pas, de passer outre en cas contraire ? À voir la gêne manifeste des chefs de l’école anthropologique, comme M. Andrew Lang, toutes les fois qu’ils se heurtaient aux théories indianistes, il était évident que ni les mythologues, ni les anthropologistes n’avaient rien qui les concernât dans des contes venus de l’Inde et parvenus en Europe seulement aux environs des Croisades. Il fallait donc, semblait-il, se méfier de ces mirages : de ces deux systèmes, l’un était chenu et caduc ; l’autre, mort-né.

Comme les gouvernements, les systèmes périssent par l’exagération de leur principe, et sont communément ruinés par ceux-là mêmes qui, pour avoir voulu les compléter et leur faire porter leur dernières et logiques conséquences, les ont soudain sentis s’effondrer. Tout système est comme un beau monument, qui donne asile à de nombreux et divers esprits. De puissantes mains l’ont édifié ; tous le croient solide. Tantôt l’un de ses hôtes, moins par nécessité que pour le plaisir des yeux, l’étaye d’élégants arcs-boutants, le soutient par quelque colonnade ; la plupart se bornent à le revêtir de belles fresques, qui l’ornent sans le compromettre. Un jour, l’un quelconque de ses habitants, le plus humble, le plus confiant, veut ajouter quelque chose à l’édifice ; non pas même le surélever, mais le couronner simplement d’une pierre de faîte. Les fondements n’étaient pas solides : tout l’édifice se lézarde et branle.

Quel fut le premier et imperceptible craquement du monument, comment celui qui l’entendit essaya longtemps de se persuader qu’il se trompait, que le beau palais ne