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être renversée, et que les contes d’animaux foisonnaient en Grèce à une époque où nous ne savons rien de l’Inde et où les Grecs ne soupçonnaient même pas qu’elle existât ; — ni de montrer qu’il en est vraisemblablement de même des autres parties du folk-lore, à en juger par de très anciens contes plaisants ou merveilleux, égyptiens, grecs, romains, qui sont parfois les mêmes que redisent encore nos paysans ; — il n’a pas été malaisé davantage d’établir la même vérité pour le moyen âge antérieur aux Croisades, qui nous livre, en une seule collection, presque autant de fabliaux que l’Inde.

Mais, disent les orientalistes, que sont ces rares contes antiques en regard de « l’Océan des rivières des histoires », qui, à l’époque des Croisades, se déverse soudain sur l’Europe ? Au xiie et au xiiie siècle, voici que sont traduits en des langues européennes les plus importants recueils orientaux : aussitôt les fabliaux fleurissent en France, en Allemagne.

J’ai fait effort (Chapitre IV) pour apprécier à sa juste valeur l’importance de ces traductions ; je les ai analysées ; j’ai dressé la statistique des récits qu’elles mettaient à la disposition de nos conteurs, et de ceux que nos conteurs peuvent paraître leur avoir empruntés. Et ce nombre est dérisoire. D’où il résulte que ces grands recueils sont restés des œuvres de cabinet.

Cette démonstration, qui dissipe un idolum libri, et qui sera utile aux folk-loristes moins familiarisés avec le moyen âge, est, à vrai dire, superflue pour les représentants les plus autorisés de la doctrine orientaliste. Ils reconnaissent, en effet, que les contes populaires sont le plus souvent étrangers aux grands recueils sanscrits, et que, s’ils viennent de l’Inde, ils n’en viennent que rarement par les livres. C’est la tradition orale qui les porte