Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 3.pdf/107

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        Riches, qui me disiez : Travaille,
        J’eus bien des os de vos repas ;
        J’ai bien dormi sur votre paille.
Vieux vagabond, je ne vous maudis pas.

        J’aurais pu voler, moi, pauvre homme ;
        Mais non : mieux vaut tendre la main.
        Au plus, j’ai dérobé la pomme
        Qui mûrit au bord du chemin.
        Vingt fois pourtant on me verrouille
        Dans les cachots, de par le roi.
        De mon seul bien on me dépouille.
Vieux vagabond, le soleil est à moi.

        Le pauvre a-t-il une patrie ?
        Que me font vos vins et vos blés,
        Votre gloire et votre industrie,
        Et vos orateurs assemblés ?
        Dans vos murs ouverts à ses armes,
        Lorsque l’étranger s’engraissait,
        Comme un sot j’ai versé des larmes.
Vieux vagabond, sa main me nourrissait.

        Comme un insecte fait pour nuire,
        Hommes, que ne m’écrasiez-vous ?
        Ah ! plutôt vous deviez m’instruire
        À travailler au bien de tous.
        Mis à l’abri du vent contraire,
        Le ver fût devenu fourmi ;
        Je vous aurais chéris en frère.
Vieux vagabond, je meurs votre ennemi.