Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 3.pdf/217

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ce me semble, invoquer devant vous le législateur du Parnasse dans la cause d’un de ses plus fidèles sujets.

« Enfin, messieurs, j’aurais bien encore le droit de faire une observation préliminaire :


Les vers sont enfants de la lyre,
Il faut les chanter, non les lire.


« Aussi dit-on communément que c’est le ton qui fait la musique. Il ne faut donc pas juger d’une chanson par ce qu’elle peut être dans la bouche d’un greffier, encore bien que celui-ci ait lu avec une grâce à laquelle ses prédécesseurs ne nous avaient pas accoutumés (murmure d’approbation). Il ne faut même pas en juger par ce qu’elle peut être dans la bouche du ministère public ; sa voix est habituée à de trop sévères accents. Les chansons qui vous sont déférées n’ont pas été composées sur l’air de l’accusation, ni faites pour être débitées gravement par gens en robe et en bonnet carré.

« Chez ce peuple ami des arts et doué d’une sensibilité si vive, où la justice n’était pas seulement une manière de voir et de raisonner, mais aussi une manière de sentir et d’être touché ; devant ce tribunal où Sophocle, pour repousser une demande en interdiction, n’eut besoin que de réciter les beaux vers de son Œdipe, on n’eût pas manqué d’ordonner d’office que les couplets, ou, si l’on veut, les odes, seraient chantées à l’audience par les voix les plus mélodieuses, et sous la protection des plus délicieux instruments. On chantait en présence de toutes les divinités ; on eût chanté dans le temple de la justice. Lorsqu’on fit le procès à la lyre de Therpandre, on ne manqua pas de la faire résonner pour la convaincre d’harmonie.