LA FILLE.
Mère, vois briller sur sa tête
L’or, les perles, les diamants.
A-t-elle donc, aux jours de fête,
De plus splendides vêtements ?
LA MÈRE.
Malgré dentelles et panaches,
Ses traits chez nous sont bien connus.
Elle a fui d’ici les pieds nus,
Où, pauvre, elle gardait nos vaches.
— Ah ! je voudrais, dit la fille à part soi,
Devenir maîtresse d’un roi.
LA FILLE.
Qui survient ? Dame belle et fière.
Son carrosse, au galop conduit,
Jette à l’autre un flot de poussière,
Et, l’accrochant, fait rire et fuit.
LA MÈRE.
Rivale qu’un grand’nom abrite,
Cette dame, osant tout tenter,
Jusqu’au lit du roi veut monter
Pour écraser la favorite.
— Ah ! je voudrais, dit la fille à part soi,
Devenir maîtresse d’un roi.
LA FILLE.
Le roi défend celle qu’il aime.
À cheval, un jeune seigneur
Veille sur elle, et, beau lui-même,
D’un doux regard quête l’honneur.
LA MÈRE.
Fils d’une race renommée,
Il sait complaire, et va, dans peu,
Obtenir ou le cordon bleu,
Ou le plus haut rang dans l’armée.
— Ah ! je voudrais, dit la fille à part soi,
Devenir maîtresse d’un roi.
LA FILLE.
On arrête ; elle veut descendre.
S’avance un prêtre au noble aspect.
La main qu’elle daigne lui tendre,
Mère, il la baise avec respect.
LA MÈRE.
Pour être évêque, à cette ouaille,
Par lui que d’encens est offert ;
Par lui qui va parler d’enfer
Au pécheur mourant sur la paille !
— Ah ! je voudrais, dit la fille à part soi,
Devenir maîtresse d’un roi.
LA FILLE.
Voilà que passe devant elle
Une noce de villageois.
L’épousée en paraît moins belle ;
L’époux va rougir de son choix.
LA MÈRE.
Non ; ne crains rien. Dans leur cabane
La misère a trop bien compté
Les sueurs qu’au peuple ont coûté
Les vices de la courtisane.
— Ah ! je voudrais, dit la fille à part soi,
Devenir maîtresse d’un roi.