Page:Bérard - Un mensonge de la science allemande, 1917.djvu/156

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des illettrés ; car si l’écriture existait déjà, chose des plus invraisemblables, elle n’était encore le lot que d’une élite et peut-être d’une caste, le secret de quelques initiés ; est-il possible que l’on ait construit au temps des premières marines, au cœur des continents, un vaisseau de ligne si l’on n’avait ni machines ni rouleaux pour le mettre à flot, ni flots même pour en faire les essais ?

Homère ne pouvait pas avoir de tablette et d’écritoire ; Homère ne pouvait pas avoir de lecteurs : ces deux impossibilités, pensait Wolf, dominent tout le débat. Il en est une troisième qu’il indiquait à la note 91, en s’excusant « d’une audace nouvelle qu’il faudrait bien des pages pour légitimer » : c’est qu’à l’âge d’Homère, et longtemps après, les Grecs étaient incapables de construire un ensemble poétique ; en passant en revue toutes les opinions des critiques grecs, on arriverait, disait Wolf, à la démonstration de cette vérité, quam sero Graeci in poesi didicerint totum ponere. Wolf n’avait pas le temps en 1795 de nous offrir cette revue de toute la critique grecque ; c’est donc aux deux impossibilités tirées de l’écriture qu’il se bornait, et c’est pour les établir « mathématiquement » qu’il consacrait un quart de son premier volume à l’histoire de l’écriture chez les Grecs.

Aujourd’hui, après cent vingt ans de découvertes archéologiques et épigraphiques dans le monde grec, anatoliote, syrien, chaldéen et égyptien, il serait miraculeux qu’il restât beaucoup de cette démonstration mathématique de 1795 : en fait, les gens du métier, comme dit Fr. Blass, ont jeté bas cette pierre angulaire du système wolfien. Wolf croyait ce qu’il était alors rationnel de croire en l’état des connaissances sur l’antiquité ; il ne pouvait pas savoir qu’en ces matières aussi, l’intervention des Français allait bouleverser toutes les croyances et, par l’expédition de Bonaparte en Égypte,