Page:Bérard - Un mensonge de la science allemande, 1917.djvu/169

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ne suffisoit pas à l’histoire, et c’est des poètes et des orateurs, dépositaires des événements, que les Espagnols apprirent ceux qu’ils ont publiés. Les historiens d’Irlande ont aussi tiré leurs matériaux des chansons des Bardes et des Fileas qui racontoient les faits d’après la tradition... »

Que l’on juge comme on voudra cette théorie de Wood, il est certain qu’elle est tout juste l’opposé des « théories de Wolf » : car Wood croit à l’existence d’un poète et d’un seul poète, auteur de toute l’Iliade et de toute l’Odyssée ; s’il ne croit pas à l’existence d’un écrivain alphabétique, c’est que l’existence de l’alphabet et même de l’écriture ne lui semble pas nécessaire à la composition d’un poème de quinze mille vers ; la composition, dit-il, est un effet du génie ; l’écriture, un simple ouvrage de l’art.

Si donc Wolf n’eût pris que Robert Wood pour guide en ce chapitre de l’écriture, il se fût bien gardé de croire à sa démonstration mathématique des deux « impossibilités ». Car il n’est pas un mot de R. Wood qui n’implique la possibilité d’un poème de quinze mille vers composé et conservé par la mémoire, et d’un grand poète produisant de longs ouvrages pour un public et pour des générations d’illettrés. L’ « ingénieuse audace » de R. Wood ne conduisait donc, en fin de route, qu’aux conclusions les plus « religieuses »... Pourquoi Wolf affiche-t-il un tel respect de ce « dévot de l’antiquité » ?

Dans la longue bibliographie que lui fournissait Harles-Fabricius, Wolf n’eût pas été en peine de trouver des penseurs bien plus audacieux[1]. A ne prendre même que d’Aubignac, il pouvait lire déjà dans les Conjectures tout

  1. Cf. sur ce sujet de l’écriture aux temps homériques G. Finsler, Homer in der Neuzeit, p. 203 et suivantes.