Page:Büchner - La Mort de Danton, trad. Dietrich, 1889.djvu/334

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ce que fait la femme dont la destinée me pèse si lourdement sur le cœur[1] ? »

— « Mais, Monsieur Lenz, je ne sais rien. »

Il se tut et marcha à grands pas dans la chambre ; puis il reprit : Voyez-vous, je veux partir ; certes, vous êtes les seules personnes chez lesquelles je pourrais vivre, et pourtant… pourtant, je dois vous quitter pour aller chez elle — mais je ne puis pas, je n’ose pas. — Il était violemment agité et sortit.

Vers le soir il revint ; il commençait à faire sombre dans la chambre. Il s’assit près de Madame Oberlin. « Voyez-vous, recommença-t-il à dire, quand elle traversait la chambre en chantant à demi voix, et que chacun de ses pas était une musique, il se dégageait d’elle une félicité qui affluait en moi ; j’étais toujours heureux quand je la regardais, ou qu’elle appuyait sa tête sur moi… Ah, Dieu ! Ah, Dieu ! depuis longtemps je ne suis plus heureux… Une véritable enfant… Il semblait que le monde était trop vaste pour elle, elle se retirait en elle-même, elle cherchait la petite place la plus étroite de toute la maison, et elle s’asseyait là comme si tout son bonheur ne tenait que dans un seul petit point ; alors il en était de même pour moi ; alors j’aurais pu jouer comme un enfant. Maintenant je me sens si à


  1. Il s’agit ici de Frédérique Brion, la fille du pasteur de Sessenheim, à laquelle le fugitif amour de Gœthe a donné l’immortalité. (Note du traducteur).