Page:Bacon - Œuvres, tome 1.djvu/207

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le cours de la vie d’un seul homme ne peut fournir assez d’exemples pour régler la conduite d’une vie entière, pas même celle d’un seul homme ; car, de même qu’il arrive quelquefois que le

    trop rigoureusement observé les règles lorsque le hazard favorise excessivement un adversaire qui les viole. Mais à la longue, c’est celui qui les suit le plus constamment qui demeure le gagnant ; ou tout au moins, s’il est le perdant, il ne s’en prend pas à lui-même, mais à la fortune ; ce qui adoucit le sentiment de ses pertes. C’est ainsi que dans ̃la vie ordinaire, après avoir échoué par l’injustice ou l’imprudence d’autrui, l’on est plus content de soi, et plus intimement heureux qu’après avoir réussi, malgré des fautes qu’on ne peut se dissimuler ; et ce n’est pas ici une simple conjecture, c’est une expérience mais ne parlons que des autres. À notre retour de Canton en Chine, notre vaisseau portoit le plus grand négociant qui fût alors sur ce globe ; c’était un Arménien, le plus doux et le plus généreux des mortels : j’observai avec le plus grand soin cet homme étonnant, qui étoit alors pour moi un modèle à étudier, et je trouvai qu’il devoit à la perpétuelle sérénité qui régnoit dans son cœur, cette pureté de jugement,