Page:Bacon - Œuvres, tome 1.djvu/321

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chose se passa. C’étoit un usage chez les Romains, que les généraux, en haranguant leur armée, se servissent de ce mot, milites (soldats) ; et que les magistrats, en parlant au peuple, employassent celui de quirites (citoyens). Les soldats de César s’étant révoltés, faisoient grand bruit autour de lui, et lui demandoient leur congé, d’un ton séditieux : non qu’ils eussent fort à cœur ce congé ; mais ils espéroient que, s’ils pouvoient gagner ce point, ils le forceroient ensuite à leur accorder d’autres demandes. Lui, sans s’ébranler, ayant fait faire silence, commença ainsi : ego, quirites, (moi, citoyens), mot par lequel il leur signifioit qu’ils étoient déjà licenciés. Les soldats frappés de sa fermeté et étourdis par ce mot, interrompoient continuellement son discours, abandonnant désormais la demande du congé, et le suppliant avec instance de leur rendre le titre de soldats[1]

  1. Il est impossible de faire passer dans la traduction tout le sens et toute la force de ce mot de César, attendu que nous n’avons point dans notre langue de mot correspondant à ce mot quirites, qui, à proprement parler) signifioit enfans de Romulus, ni d’équivalent précis. Cependant le mot de citoyens par lequel je traduis le mot quirites, en approche assez, et nous l’employons dans des occasions à pou près semblables ; car quoique nul de nos volontaires ne rougisse, du nom de citoyen, et qu’on le soit beaucoup mieux le sabre au poing que la plume à la main ; cependant, si, après trente victoires, un général, en leur parlant, le leur donnoit, tels d’entr’eux pourroient bien n’en être, pas trop flattés. César, en parlant à ses soldats employoit le mot commilitones, qui revient à peu près à celui de camarades, que nous employons en pareille occasion. Au reste, si quelqu’un de nos lecteurs juge que le mot citoyen ne répond pas assez exactement à celui de quirites, il il peut y substituer celui-ci, romains.