Page:Bacon - Œuvres, tome 4.djvu/272

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dans l’univers des êtres qui le nourrissent, il y en a aussi qui le mangent ; et que le requin, en dévorant son roi, avale aussi la royauté. Car le monde universel ainsi que le monde de l’homme se divise en deux grandes familles : l’une d’êtres mangeans, et l’autre, d’êtres mangés. Tout bien considéré, nous ignorons la véritable fin de ce grand tout : or, non-seulement le vrai but de l’univers nous est inconnu, mais nous ne savons pas même s’il y a un but ; et c’est là le premier article de l’immense chapitre de notre ignorance. Ceux qui ont voulu moraliser le monde physique, ont fait presque autant de tort à la philosophie, que ceux qui ont voulu matérialiser le monde moral. En cherchant les causes finales qu’on ne peut trouver, on ne trouve pas les causes physiques qu’on ne cherche point, et dont la connoissance est plus nécessaire. Si vous chargez Dieu de la garde de votre valise disoit Sénèque, vous la garderez mal, et vous la laisserez prendre ; au lieu qu’un homme qui ne compte que sur lui-même trouve dans une tête et une main actives, un Dieu qui ne l’abandonne jamais. Qui sait étudier la matière, et tirer parti de son propre corps, en pensant assez rarement à son âme, ne laisse pas, tout en oubliant le monde moral, de vivre encore assez bien dans le monde physique, et en marchant toujours vers sa véritable fin, sans y