Page:Baillet - De quelques ouvriers-poètes, 1898.djvu/71

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Prompte comme l’éclair, elle arrive à toute heure
Dans les lieux attristés par des cris douloureux :
Que ce soit un palais, une pauvre demeure,
Qu’importe, Eolida, de tout être qui pleure,
Met les pleurs dans son urne et les emporte aux cieux.

Sous la tente au désert, dans la grotte enfumée
Et couverte de neige où gît le Kamschadal,
Dans la hutte brahmine et de fleurs embaumée,
Partout Eolida, la vierge bien aimée,
Tend son calice d’or au ruisseau lacrymal.

Sa voix a la douceur d’une flûte divine,
Quand il faut consoler la veuve et l’orphelin,
Elle amène l’espoir au sein de la chaumine,
Et sa forme céleste aisément se devine
Sur les plis ondoyants de sa robe de lin.

A tous les parias que le monde abandonne,
A tous les prisonniers las de s’exaspérer,
Elle dit quelques mots de sa voix qui pardonne,
Et fait tomber sur eux les fleurs de sa couronne,
Dont le parfum console en faisant espérer.

Dans les mornes greniers, où l’hiver impassible
Dessine, en grelottant, sur les vitres, des fleurs,
Où la chair se bleuit à son souffle insensible,
La vierge aux larmes prend, de sa main invisible,
Les perles de glaçons qui, la veille, étaient pleurs.

Puis, suspendant enfin sa course vagabonde,
Dirigeant vers les cieux son vol démesuré,
Elle s’arrête aux pieds du Créateur du monde
Et dit, en répandant son amphore profonde :
L’urne est pleine. Seigneur, ont-ils assez pleuré !…