Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/154

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corps, dont la chute ne peut être que tres-rude, et qui sont encore plus difficiles à relever quand ils sont abatus, qu’à retenir quand ils sont ébranlez. Il estimoit que l’usage avoit adouci beaucoup de leurs imperfections, et qu’il en avoit insensiblement corrigé d’autres, beaucoup mieux que n’auroit pû faire la prudence du plus sage des politiques ou des philosophes. Il convenoit même que ces imperfections sont encore plus supportables que ne seroit leur changement : de même que les grands chemins qui tournoïent entre des montagnes, deviennent si unis et si commodes à force d’être batus et fréquentez, qu’on se rendroit ridicule de vouloir grimper sur les rochers, ou descendre dans les précipices, sous prétexte d’aller plus droit. Son dessein n’étoit pas de cette nature. Ses vuës ne s’étendoient pas alors jusqu’aux intérêts du public. Il ne prétendoit point réformer autre chose que ses propres pensées, et il ne songeoit à bâtir que dans un fonds qui fût tout à lui. En cas de mauvais succés, il croioit ne pas risquer beaucoup, puis que le pis qu’il en arriveroit, ne pourroit être que la perte de son têms et de ses peines, qu’il ne jugeoit pas fort nécessaires au bien du genre humain.

Dans la nouvelle ardeur de ses résolutions, il entreprit d’éxécuter la prémiére partie de ses desseins qui ne consistoit qu’à détruire. C’étoit assurément la plus facile des deux. Mais il s’apperçut bien tôt qu’il n’est pas aussi aisé à un homme de se défaire de ses préjugez, que de brûler sa maison. Il s’étoit déja préparé à ce renoncement dés le sortir du collége : il en avoit fait quelques essais prémiérement durant sa retraitte du fauxbourg S Germain à Paris, et ensuite durant son séjour de Breda. Avec toutes ces dispositions, il n’eut pas moins à souffrir, que s’il eût été question de se dépoüiller de soi-même. Il crût pourtant en être venu à bout. Et à dire vrai, c’étoit assez que son imagination lui présentât son esprit tout nud, pour lui faire croire qu’il l’avoit mis effectivement en cét état. Il ne lui restoit que l’amour de la vérité, dont la poursuitte devoit faire d’orénavant toute l’occupation de sa vie. Ce fut la matiére unique des tourmens qu’il fit souffrir à son esprit pour lors. Mais les moyens de parvenir à cette heureuse conquête ne lui causérent