Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/206

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ce fonds de piété que ses maîtres lui avoient inculquée à La Fléche ; et il la faisoit paroître dans les pratiques extérieures de la dévotion, aux devoirs de laquelle il étoit aussi assidu que le commun des catholiques qui vivent moralement sans reproche. Quoique son esprit fût curieux jusqu’à l’étonnement de ceux qui le connoissoient, il étoit néantmoins trés-éloigné du libertinage en ce qui touche les fondemens de la religion, ayant toujours eu grand soin de terminer sa curiosité aux choses naturelles. Il avoit compris de bonne heure que tout ce qui est l’objet de la foy ne sçauroit l’être de la raison, et qu’il y auroit de la témérité à prétendre l’y assujettir. De sorte qu’il regardoit les libertins comme des gens qui étoient dans un faux principe, et qui ne connoissoient pas la nature de la foy, lors qu’ils croyoient que la raison humaine est au dessus de toutes choses.

L’irrésolution qui pouvoit lui rester touchant les vuës générales de son état, ne tomboit point sur ses actions particuliéres. Il vivoit et agissoit indépendemment de l’incertitude qu’il trouvoit dans les jugemens qu’il faisoit sur les sciences. Il s’étoit fait une morale à sa mode, selon les maximes de laquelle il prétendoit embrasser les opinions les plus modérées, les plus communément reçûës dans la pratique, et les plus éloignées de l’éxcez pour régler sa conduite, se faisant toujours assez de justice pour ne pas préférer ses opinions particuliéres à celles des personnes qu’il jugeoit plus sages et mieux sensées que lui. Il apportoit deux raisons qui l’obligeoient à ne choisir que les plus modérées d’entre plusieurs opinions également reçûës. La prémiére, que ce sont toujours les plus commodes pour la pratique, et vrai-semblablement les meilleures, toutes les extrémitez dans les actions morales étant ordinairement vicieuses. La seconde, que ce seroit se détourner moins du vray chemin, au cas qu’il vint à s’égarer, et qu’il ne seroit ainsi jamais obligé de passer d’une extrémité à l’autre. Il paroissoit en toutes rencontres tellement jaloux de sa liberté qu’il ne pouvoit dissimuler l’éloignement qu’il avoit pour tous les engagemens qui sont capables de nous priver de nôtre indifférence dans nos actions.