Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/222

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Il faut avoüer que l’exécution d’un dessein aussi héroïque que celui de rétablir la vraye philosophie étoit réservée à un génie encore plus extraordinaire que le sien. Mais c’est avec beaucoup de justice qu’il a reçu les éloges de toutes les personnes judicieuses qui n’ont pas pû ne pas goûter le plan qu’il avoit donné pour rebâtir sur de nouveaux fondemens. Il avoit remarqué que l’esprit humain se trouvoit embarassé de plus en plus dans la recherche de la vérité principalement depuis que les péripatéticiens étoient venus à bout de faire recevoir presque par tout leur méthode scholastique. Il n’avoit pû voir sans peine que cét esprit fût privé des vrays secours pour cette recherche, ou qu’au moins il ne sçût pas bien user de ceux qu’il avoit ; que de cette privation ou de ce mauvais usage des vrays secours fût venuë une ignorance presque totale des choses naturelles suivie de mille inconvéniens. Dans cette vuë il avoit crû devoir employer toute son industrie pour tâcher de réconcilier l’esprit humain avec la nature ou les choses naturelles, et de rétablir leur commerce. Il avoit jugé qu’il falloit commencer d’abord à corriger les erreurs passées, et à établir les moyens de prévenir celles qui pourroient arriver dans la suite des têms. Mais il ne pouvoit espérer ces bons effets ni des forces particuliéres de l’entendement humain, ni des secours de la dialectique, parce que les premiéres notions que nôtre esprit reçoit des choses luy paroissoient vicieuses et confuses, et que l’on faisoit mal, selon lui, de séparer ces notions des choses mêmes. C’est delà néantmoins que dépendent les secondes notions et les autres connoissances qui sont du ressort de la raison humaine, de sorte que tout le systéme des sciences naturelles ne lui parut qu’une masse confuse de fausses idées. Il ne s’agissoit donc de rien moins que de dresser un systéme nouveau sur des fondemens tout différens de ceux des anciens qui lui avoient paru si ruïneux. Mais il ne se rebuta point de la difficulté de l’entreprise : et il voulut bien s’exposer au danger de passer pour le plus téméraire des hommes, afin de fendre au moins la glace à ceux des esprits de sa trempe qui pourroient venir aprés luy.

M Descartes n’eût aucun besoin de son exemple, si ce n’est peut être pour justifier la hardiesse qu’il avoit euë