Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/225

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oisiéme de verre moins fin. Puis, je fis faire aussi une régle de cuivre avec deux pinnules, pour y appliquer ces triangles, et mesurer les refractions : et delà, j’appris que la réfraction du cristal de montagne étoit beaucoup plus grande que celle du cristalin ; et celle du cristallin que celle du verre moins pur. Aprés cela M Mydorge, que je tiens pour le plus éxact à bien tracer une figure de mathématique qui soit au monde, décrivit l’hyperbole qui se rapportoit à la réfraction du cristal de Venise sur une grande lame de cuivre bien polie, et avec des compas dont les pointes d’acier étoient aussi fines que des aiguilles. Puis il lima exactement cette lame suivant la figure de l’hyperbole, pour servir de patron, sur lequel un faiseur d’instrumens de mathématiques nommé Ferrier tailla au tour un moûle de cuivre encavé en rond, de la grandeur du verre qu’il vouloit tailler. Et afin de ne corrompre point le prémier modéle en l’ajustant souvent sur ce moule, il coupoit seulement dessus des piéces de carte, dont il se servit en sa place, jusqu’à ce qu’ayant conduit ce moule à sa perfection, il attacha son verre sur le tour, et l’appliquant auprés avec du grais entre deux, il le tailla fort heureusement. Mais voulant aprés en tailler un concave de la même maniére, la chose luy fut impossible, à cause que le mouvement du tour étant moindre au milieu qu’aux extrémitez, le verre s’y usoit toûjours moins, quoy qu’il s’y düt user davantage. Mais si j’eusse alors considéré que les défauts du verre concave ne sont pas de si grande importance que ceux du convexe, comme j’ay fait depuis, je crois que je n’eusses pas laissé de luy faire faire d’assez bonnes lunettes avec le tour.

Ce Ferrier dont parle M Descartes, et qui luy avoit apparemment été adressé par M Mydorge, n’étoit pas un simple artisan qui ne sçût remuer que la main. Il possedoit encore la théorie de sa profession, et sçavoit l’optique et la méchanique aussi sûrement qu’un professeur du collége royal. Il n’étoit pas tout-à-fait ignorant dans le reste des mathématiques ; et nonobstant sa condition il étoit reçu parmi les sçavans, comme s’il eût été de leur nombre. Il s’attacha particuliérement à M Descartes qui le prit en affection, et qui non content de l’employer d’une maniére à rehausser sa fortune