Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/285

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qu’il avoit lui-même à se plaindre de ces loüanges, et qu’il ne l’avoit pas traité en ami toutes les fois qu’il avoit entrepris de le loüer. Ne vous ai-je pas supplié plusieurs fois, lui dit-il, de ne me point traiter de la sorte, et même de vous abstenir de parler de moi en aucune maniére. La conduite que j’ai toûjours gardée jusqu’à présent, ne montre-t-elle pas assez que je suis ennemi de ces loüanges ? Ce n’est pas que je sois insensible : mais j’estime que c’est un plus grand bien de joüir de la tranquillité de la vie et d’un honnête loisir, que d’acquérir beaucoup de renommée ; et j’ai de la peine à me persuader que dans l’état où nous sommes, et de la maniére que l’on vit dans le monde, on puisse posséder ces deux biens ensemble. Mais vos lettres montrent clairement le sujet qui vous a porté à me loüer. Car aprés toutes vos belles loüanges, vous ne laissez pas de dire librement que vous avez coûtume de préférer vôtre mathématico-physique à mes conjectures, et que vous le faites sçavoir à nos amis. Ne faites-vous pas voir par là que vous ne cherchez à me loüer que pour tirer plus de gloire de cette comparaison ; et que vous ne rehaussez le siége que vous voulez fouler, qu’afin d’élever d’autant plus haut le trône de vôtre vanité ? Une remontrance si peu attenduë interdit un peu le Sieur Béeckman, qui ne sçavoit peut-être pas encore jusqu’où s’étendent les devoirs de l’amitié, ou qui ne croyoit pas M Descartes capable de les remplir avec tant de force et de liberté. Il en parut d’autant plus vivement touché, qu’il avoit reconnu de tout têms l’humeur de M Descartes moins vindicative et plus indifférente pour la réputation et la gloire. Il communiqua le sujet de son chagrin à celui qui partageoit avec lui le rectorat du collége de Dordrecht, et il voulut décharger une partie de ses peines dans son sein. Ce collégue tâcha de secourir son ami, et prit la iberté d’écrire à M Descartes pour empêcher la rupture ou le refroidissement de l’amitié qu’il avoit entretenuë avec le Sieur Béeckman.

M Descartes pour ne lui pas refuser cette satisfaction, voulut lui faire connoître qu’il se servoit de cette occasion comme d’une pierre de touche pour lui faire éprouver la sincérité et la solidité