Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/372

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pression de nom à la rare modestie de nôtre philosophe, et au mépris généreux qu’il faisoit de la vaine réputation qu’on peut acquérir en ce monde. Mais pour ne point faire icy l’honneur à M Descartes d’une vertu qui luy étoit commune d’ailleurs avec beaucoup d’honnêtes gens de son siécle : il faut avoüer que la qualité d’anonyme est devenuë un signe assez équivoque par la diversité des motifs qui ont porté les auteurs à supprimer leur nom à la tête de leurs ouvrages. Ses envieux n’auroient pas négligé de profiter de l’indifférence où est le public là-dessus, et de faire attribuer sa conduite à quelque défiance qu’il auroit eûë de la vérité de ses raisons. Mais il voulut aller au-devant des uns et des autres, et leur faire voir que ce n’étoit ny la modestie, ny la mauvaise honte qui l’avoit porté à ne point mettre son nom a ces prémiers ouvrages. Il témoigna depuis au Pére Dinet provincial des jésuites en France, qu’il n’en avoit usé de la sorte que pour se mettre à couvert de l’envie qu’il prévoyoit, tout indigne qu’il en fût selon son jugement, que ces écrits devoient attirer sur luy.

La trahison que luy fit le P Mersenne rendit sa précaution tout-à-fait inutile. Car ce pére ne se contenta pas de le déceler en faisant voir avant l’impression à diverses personnes le manuscrit qu’il ne luy avoit confié que pour m. Le chancelier Séguier : il fit encore mettre son nom en tout son entier dans le privilége, où il laissa de concert avec M Des Argues insérer les grands éloges dont nous avons parlé ailleurs, et qui donnérent autant de chagrin que de confusion à M Descartes.

Quoique cette conduite dérangeât entiérement les mesures qu’il avoit prises, elle ne luy fit pourtant pas perdre le jugement. Pour sauver les restes de ses intentions il retrancha son nom et ses éloges du privilége, dont il ne voulut faire paroître qu’un extrait. Il n’eut pas plûtôt reçû les deux cens exemplaires dont il étoit convenu avec le libraire, qu’il en régla la distribution dans l’ordre que ses devoirs et son inclination luy prescrivirent. Il en fit préparer d’abord pour le roy, le cardinal De Richelieu ministre, le chancelier, plusieurs seigneurs et officiers de la cour de France ; pour quelques cardinaux italiens, et d’autres personnes de la