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comme moi, naissent avec des envies d’aimer tout ce qui est beau et qui brutalement sont rappelés à la réalité.

Et qui est-ce qui pourrait bien me regretter sur la terre ? des parents ; il y a longtemps qu’ils m’ont renié et chassé pour toujours de la maison paternelle ; des amis ; est-ce qu’il y a des amis ? Pas un peut-être ne ferait un pas pour m’éviter la dégringolade finale. J’avais une maîtresse, ils me l’ont prise ; j’avais de l’argent, ils me l’ont bu ; j’avais une bonne réputation, ils me l’ont démolie à coups de médisance. Est-ce que je les connais les gens qui me serrent la main en m’appelant cher ami, et qui derrière peut-être me traitent d’imbécile.

Seul, bien seul, pas une douce parole qui me réconforte, pas un baiser qui me donne un peu de la félicité que l’on peut goûter sur la terre. Quittons cette ménagerie où les loups s’entre-dévorent. Pourvu que mes forces ne m’abandonnent pas et que je puisse courageusement affronter la mort.

Allons, madame, donnez-moi encore des émeraudes écrasées sous cette coupe trop petite. L’absinthe du moins ne m’a jamais trahi et toujours donné l’oubli de toutes les misères. Encore, toujours, jusqu’à en mourir.



BALLADE DE LA NEIGE


Au très-exquis peintre A. WILLETTE.


I


Puisque depuis huit longs mois, ma mie Léo, fidèle ou à peu près à ton pauvre diable d’amant, songe-creux et bâtisseur de châteaux en Espagne, tu as calmé l’insomnie de mes nuits, je voudrais t’emmener à la fête des yeux à laquelle nous invite la Nature. D’autres plus fortunés te feraient voir des princesses de comédie couvertes de manteaux où resplendissent les ors sous l’étincellement des lumières, moi je veux te faire admirer de vrais diamants qui pendent le long des arbres et qui s’accrochent au moindre brin d’herbe ; tu verras que cette première vaut bien celles où le « Tout-Paris » va crever d’ennui.

Si ton nez rosit sous la morsure du froid, je te réchaufferai de mes baisers ardents. Quittons ce vieux Paris enchifrené où la neige est souillée sitôt qu’elle touche les fangeux trottoirs. Emmitouffle-toi de toutes tes fourrures et laisse seulement passer tes lèvres rouges, afin que je puisse de temps en temps les embrasser.

La neige, vois-tu, ce doit être le duvet que laissent négligemment tomber les grands oiseaux blancs qui volent dans les immensités bleues.