Page:Bailly - Histoire financière de la France, depuis les origines de la monarchie jusqu’à la fin de 1786, tome 1.djvu/70

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1188-1189. - Lorsque Philippe-Auguste forma le projet d’aller délivrer Jérusalem, prise par Saladin, soudan d’Egypte, il fut résolu, dans un grand parlement ou concile, composé des évêques, et des barons assemblés par les ordres du roi, que, tant que durerait l’expédition, on lèverait la dixième partie des biens meubles et immeubles de tous ceux qui ne portaient pas la croix, ecclésiastiques ou séculiers, nobles ou roturiers, à l’exception seulement des léproseries et des abbayes de Citeaux, des Chartreux et de Fontevrault. Cette subvention eut le nom de dîme saladine[1]. Les vexations des commissaires chargés d’en faire la levée furent telles et produisirent un si grand mécontentement parmi la noblesse, que le roi fut contraint l’année suivante d’en défendre la perception, au lieu de la maintenir jusqu'à son retour de la Terre-Sainte. Il est à présumer qu’à défaut de la dîme, Philippe eut recours à une taille générale; et il chercha à écarter par sa prévoyance les obstacles que la perception de cet impôt pourrait rencontrer par la levée des tailles seigneuriales.

1190. — Dans un testament ou acte concernant le gouvernement du royaume, qui fut signé des grands officiers de la couronne avant le départ du roi, il avait ordonné que, tant que durerait son absence, ou s’il venait à mourir durant la minorité de son fils, il ne serait point levé de tailles par les seigneurs laïcs ou ecclésiastiques dans leurs terres[2].

  1. Ordon. du Louvre, t.11, p. 255 et suiv., et note. - Le Guydon général des finances, édit. de 1644, p. 164. - Pasquier, t. 1, p. 616, C.
  2. Le texte du testament de Philippe-Auguste porte, art. 13 : « Prohibemus etiam universis prélatis ecclesiarum et hominibus nostris ne talliam vel toltam donent quamdiu in servitio Dei erimus.» M. Moreau de Beaumont et les éditeurs des ordonnances du Louvre traduisent ce passage par la défense de faire des remises sur les tailles. L’on a adopté de préférence la version de l’historien Mézerai, et de M. de Boulainvilliers, laquelle paraît la plus conforme aux intérêts de la couronne et de l’expédition, qui étaient que la levée du subside général établi par le roi ne fût pas arrêtée par des taxes arbitraires au profit des seigneurs. Les mots dare ou donare talliam, d’ailleurs, semblent exprimer plus naturellement donner un mandement de taille, délivrer une taille, que faire une remise sur la taille. Une remise accordée aux sujets ou serfs des seigneurs devait être un acte inconnu en code féodal.