Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/126

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juillet, voulaient lui retirer. Thiers ne quitta le pouvoir qu’après un discours parlementaire où, par une dernière rodomontade, et pour sauver son échec, il se plaisait à braver l’Europe encore une fois[1].

La monarchie avait sauvé la France d’une guerre désastreuse, du Waterloo ou du Sedan dans lequel l’eût précipitée l’aveuglement de l’opinion, aggravé par l’amour-propre des chefs parlementaires, exploité par le régime des partis. Cependant l’entreprise guerrière dans laquelle Thiers, par vanité, eût lancé tout un peuple, laissait en Europe des ferments dangereux pour la France. En Allemagne, le nationalisme semblait vouloir garder son exaltation. C’est ce que Metternich observait avec sa pénétration et son ironie hautaine : « M. Thiers, disait-il, aime à être comparé à Napoléon. Eh bien ! en ce qui concerne l’Allemagne, la ressemblance est parfaite et la palme appartient même à M. Thiers. Il lui a suffi d’un court espace de temps pour conduire ce pays-là où dix années d’oppression l’avaient conduit sous l’Empereur. » Et Henri Heine n’en jugeait pas autrement que le technicien de la Sainte-Alliance : « M. Thiers », a-t-il écrit, « par son bruyant tambourinage, réveilla notre bonne Allemagne de son sommeil léthargique et la fit entrer dans le grand mouvement de la vie politique de l’Europe. Il battait si fort la diane que nous ne pouvions plus nous rendormir, et, depuis, nous sommes restés sur pied. Si jamais nous devenons un peuple, M. Thiers peut bien dire qu’il n’y a pas nui, et l’histoire allemande lui tiendra compte de ce mérite. » Ces lignes étaient imprimées en 1854. Seize ans plus tard l’événement donnait raison à Henri Ileine c’était Sedan…

Cependant, en France non plus, l’alarme de 1840 ne fut pas perdue pour tout le monde. Un des complices de « l’immorale et funeste coalition » comprit l’étendue de sa faute. Il l’a même, par la suite, reconnue publiquement. C’était Guizot. Guizot, se

  1. On trouvera au tome III du Manuel de politique étrangère de M. Emile Bourgeois une appréciation équitable du rôle joué par la monarchie de Juillet dans cette crise. M. Bourgeois, entre beaucoup d’autres citations qui sont à l’honneur de Louis-Philippe, reproduit ce mot de Guizot auquel il semble s’associer : « … Un service immense rendu au pays, service analogue à ceux que la couronne lui avait rendus plusieurs fois en de semblables circonstances. »