Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/130

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Lamartine, dans la Chambre du gouvernement de Juillet où il « siégeait au plafond », s’était écrié un jour « Ressusciter l’Italie suffirait à la gloire d’un peuple. » Soudain porté au pouvoir par la Révolution de Février, le poète, avec cette intelligence intuitive dont il a plusieurs fois donné des preuves mémorables, comprit que la République perdrait la France si elle accomplissait au dehors la politique des nationalités. Le jour où il pénétra au ministère des Affaires étrangères dont venait d’être chassé Guizot, un des fonctionnaires de la maison, le plus haut en grade, le plus expérimenté, qui avait été un des ouvriers de l’accord avec Metternich, déclara au ministre nouveau, après lui avoir passé les services, qu’il n’avait plus autre chose à faire que de donner sa démission. « Pas du tout, répliqua Lamartine avec vivacité. Vous êtes notre maître et c’est vous que je veux consulter. » Étonnant hommage rendu à Guizot et à Louis-Philippe ! Après les avoir renversés, Lamartine devait s’inspirer d’eux dans son bref passage aux affaires. Comme eux, il allait s’opposer à la « politique que le peuple élaborait depuis 1815 » et que la démocratie victorieuse croyait voir triompher avec lui. Le poète, converti au bon sens par sa responsabilité, devait désavouer les propagandistes révolutionnaires, leurs coups de main en Savoie et au delà du Rhin, adjurer le peuple de songer à la France avant de songer à l’Allemagne, à l’Italie, à l’Irlande, à la Pologne. Dans sa longue et mélancolique retraite, le poète a-t-il jamais songé que sa brutale disgrâce, son impopularité cruelle étaient venues de là ? A-t-il compris que l’élection foudroyante de Louis-Napoléon tenait à la promesse que, dès l’affaire de Strasbourg, celui-ci avait solennellement apportée, lorsque l’héritier du nom napoléonien s’était présenté comme l’exécuteur du testament de Sainte-Hélène, lorsqu’il avait juré « de vaincre ou de mourir pour la cause des peuples » ? Lamartine a-t-il entendu le sens des clameurs que la foule élevait contre lui dans cette journée du 15 mai où sa gloire sombra ? A-t-il su pourquoi, à l’élection du 10 décembre, l’homme de Strasbourg avait été élu, tandis que lui, le héros de Février, n’obtenait qu’une poignée de suffrages ? Il se peut. Lamartine n’en a jamais rien dit. Il