Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait choisis. Mais les beaux esprits libéraux, les aristocrates doctrinaires n’avaient pas compris davantage qu’une fortune inespérée leur avait apporté, avec la Charte et le régime représentatif, la réalisation de leurs vœux. Il dépendait d’eux que cela durât et ils ne devaient jamais revoir un état de choses où leur place fût mieux marquée. « Il fallait être aussi étourdis que nous le fûmes pour faire ce que nous fîmes », a dit sentencieusement le duc Victor de Broglie, lorsqu’il eut touché du doigt les désastres auxquels, de conséquence en conséquence, la Révolution de 1830 avait conduit.

En rejetant sur une étourderie la faute commise, le noble duc ne s’avouait à lui-même qu’une part de la vérité. Ce qu’il y avait, au fond de tous ces opposants, c’était le goût des ruines, un instinct d’anarchie. Il parut alors des constructeurs, frappés à l’image des plus grands qu’ait connus notre histoire. Leur œuvre fut combattue et paralysée par la joie âcre qu’on éprouvait dans tous les camps à se déchirer et à démolir. C’était comme une maladie du siècle, et les plus graves, les plus vertueux cédaient à cette perversité. Le jour où Royer-Collard lut à Charles X l’adresse qui signifiait la rupture et le défi, aussitôt relevés par la réponse royale, le mot favori du doctrinaire était dans toutes les pensées. Comme des adolescents romantiques, comme des Werthers à cheveux blancs, le vieux roi et le vieux parlementaire pensaient tous deux que « périr est aussi une solution ».

Charles X, a dit un démocrate césarien, était « passionné pour le relèvement national ». Son tort, ce fut de jouer sa couronne avec une insouciance extraordinaire, comme si la solidité de sa dynastie n’eût pas été la première condition d’une politique qui, avec l’aide du temps, devait panser les plaies de 1815. Charles X eût été plus prudent, il se fût soucié davantage de conserver d’abord le trône, s’il eût commencé par se regarder lui-même comme indispensable au salut public.

Mais cette idée n’était pas celle qui dirigeait le siècle. Elle était absente des esprits, absente des débats parlementaires, des querelles de la droite et de la gauche. C’est qu’au fond la France ne doutait pas de sa sécurité. Les traités de Vienne, tout maudits qu’ils étaient, n’avaient pas, en somme, si mal arrangé des choses qui, à la suite de deux invasions, avaient