Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/180

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Pensons-y voilà peut-être comment se démocratisera l’Allemagne de demain.

La puissance de l’État, telle est la première condition de tout progrès national. Hegel traduit philosophiquement l'idée-mère de Stein. Et l’État dont Hegel propage le culte dans une Allemagne encore divisée, il n’a qu’un type, c’est l’État prussien. L’État est un dieu sur la terre, dit la doctrine hégélienne. C’est un « terrestre-divin » dont le monarque est l’incarnation. Le premier devoir des individus est d’être membres de l’État, car sans lui, qui est la réalité absolue, ils ne sont rien. Et les Hohenzollern ont déjà mis en pratique ce que Hegel traduit en formules. L’État modèle, c’est celui du roi-sergent et du grand Frédéric, l’État qui a fait ses preuves pendant le dix-huitième siècle, qui a résisté à la tempête napoléonienne. Hegel restaure le culte de l’État. Or il n’y a plus d’État allemand, mais il n’y a un État prussien et c’est par lui que se refera un État allemand. Se refera-t-il tout seul, en polarisant les enthousiasmes et les bonnes volontés ? Nullement. La force devra en être l’accoucheuse et ce qui caractérise l’État prussien, c’est qu’il est fort. Hegel annonce Bismarck, il le prévoit, il l’appelle : l’unité allemande ne se fera que par les moyens héroïques. « Si grand, dit-il, que soit l’avantage que toutes les parties de l’Allemagne trouveraient à ce qu’elle devînt un État, une telle transformation ne saurait être cependant que l’œuvre de la force. Il faudrait la force d’un vainqueur pour rassembler la nation en une masse unique et la contraindre à se considérer comme une unité politique. » Telle est l’idée dont Hegel jette la semence redoutable dans les esprits allemands.

Le moment où le plus influent des philosophes germaniques du dix-neuvième siècle répandait cette doctrine était celui où les citoyens français méconnaissaient, dédaignaient ou affaiblissaient leur État. Ils parlaient liberté quand les Allemands parlaient puissance. Ils se désarmaient quand les Allemands songeaient à s’armer. Hegel formait la doctrine autoritaire et militaire de l’empire de Guillaume II lorsque Cousin enseignait que la Charte, la tribune et le triomphe des principes constitutionnels étaient la victoire du peuple français. À la limite de ces deux idées, il y avait pour la France des guerres sanglantes et de ruineuses invasions. Mais qui donc, dans cette opinion