Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/194

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démie. Ces fortunes détournèrent sans doute son attention des affaires d’Allemagne, car il ne semble pas avoir attaché d’importance au fait que, cette année-là, les trois royaumes du sud, Bavière, Wurtemberg et Saxe, se joignirent au Zollverein prussien. Encore trente-trois ans, encore une génération d’hommes s’étant écoulée, des fautes irréparables ayant été commises, Thiers devait prononcer des discours d’avertissement qui sont restés justement célèbres. Il devait y prédire tous les maux qu’entraînerait l’oubli de nos anciennes maximes. Il devait montrer avec une éclatante raison que l’équilibre européen reposait essentiellement sur le système de 1648, restauré en 1815, c’est-à-dire sur le principe d’une Allemagne composée d’États indépendants, n’ayant au plus entre eux qu’un lien fédératif que la garantie des puissances empêchait d’aller jusqu’à l’unité. La prophétie de Thiers, annonçant les catastrophes qu’une Allemagne unie et dominée par la Prusse vaudrait à la France et au monde, est une date de notre histoire. Combien cette prophétie eût été plus frappante et plus efficace si elle eût été moins tardive, si Thiers l’eût faite dès le moment où, sous le couvert d’arrangements économiques, la Prusse jetait les bases de l’Empire allemand !

L’Autrichien Metternich fut malheureusement à peu près seul à comprendre ce que signifiait l’entrée dans l’union douanière prussienne des plus importants parmi les États allemands du Sud. Il annonçait avec la dernière précision les effets politiques que produirait cette présidence financière de la Prusse sur les royaumes, principautés, duchés et villes libres d’Allemagne. Metternich disait dans un rapport à l’empereur François : « Une série d’États, indépendants jusqu’ici, accepte, vis-à-vis d’un voisin qui leur est supérieur en puissance, dans une branche extrêmement importante des contributions publiques, l’obligation de se conformer à ses lois, de se soumettre à ses mesures administratives, et à son contrôle. L’égalité des droits des confédérés cesse désormais, pour faire place à des rapports entre patron et clients, entre protecteur et protégés. On verra peu à peu, sous l’active direction de la Prusse et grâce aux intérêts communs qui se formeront nécessairement, les États qui composent l’union se fondre en un corps plus ou moins compact. »