Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/197

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joie frénétique éclata, comme si, à la place du trône, un avenir de bonheur illimité avait paru. »

Ce bonheur, c’était celui de l’humanité, tel que l’imaginaient depuis trente ans les réformateurs dont la pensée agitait confusément les masses. Saint-Simon, Fourier, Cabet n’avaient pas en vain soulevé les problèmes du travail, de la richesse, de la justice sociale. Par eux la formule de « l’organisation du travail » avait pris une valeur magique. Ils avaient répondu aux désirs d’un prolétariat accru par le développement industriel, privé de protection et de sécurité par les principes de la liberté économique. Le besoin que la classe ouvrière ressentait et exprimait avec force, c’était celui d’une protection. Les Droits de l’homme, qu’était-ce, en fin de compte, sinon la fameuse liberté de mourir de faim ? Il fallait les compléter ou les corriger par le droit au travail. Dès le 25 février, sur l’injonction d’une délégation de travailleurs, le gouvernement provisoire avait reconnu par décret ce droit nouveau. Plus tard, on lui a reproché sa faiblesse. On y a vu la cause première de la faillite si prompte à laquelle la deuxième République allait glisser. Mais était-il possible d’échapper à la logique d’une pareille révolution ? Que ce fût le 25 février ou le 23 juin, le conflit devait surgir. L’espérance d’une refonte totale de la société était si forte qu’on eût couru le même risque à la décevoir à n’importe quel moment.

Les ouvriers avaient juré de mettre trois mois de misère au service de la République. Trois mois pour réaliser la justice en ce monde ! À quel point leur idéalisme était naïf et généreux, il suffit pour en juger de se souvenir qu’ils accordèrent un dernier délai. Ils souffriraient un mois de misère encore. Le 23 juin, l’expérience était finie et la déception consommée.

Lamartine, si souvent prophétique, avait vu le péril. Il savait que la promesse du gouvernement était redoutable, mais plus redoutable encore l’état d’esprit des prolétaires. Ce qu’ils voulaient, ce n’était pas une amélioration de leur sort, des réformes, un peu de sécurité et de bien-être. C’était la justice entière, immédiate, universelle, la justice non seulement pour eux mais pour les autres, la justice au dedans et au dehors, la justice entre les classes et parmi les nations. Au lendemain de la journée où il avait convaincu le peuple de