Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/219

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rassuré les propriétaires et les rentiers. Il avait capté les conservateurs, dont il avait mesuré, quand ils possédaient à l'Assemblée une majorité dont ils avaient été incapables de rien faire, la force au point de vue social et la débilité au point de vue politique. La France conservatrice était à prendre : Napoléon III la mit dans sa poche. Après quelques jours d’emprisonnement, il relâcha les députés de la droite. Plus tard, il en nomma quelques-uns sénateurs.

S’il fut plus sévère avec les montagnards et les plus purs du parti démocratique, il avait pourtant, contre les républicains, une arme plus forte que les commissions militaires, les déportations et l’exil. Il avait la popularité de son nom. Il avait les idées napoléoniennes. Dans son exil, Victor Hugo n’a jamais compris cela. Il n’a pas vu que le jour où la minorité montagnarde avait blâmé l’assemblée pour la « faiblesse » de sa politique européenne, — le même reproche qui avait fini par être mortel à la Monarchie de Juillet, — l’Empire était inévitable. Quant à Napoléon III, il avait admirablement pénétré la pensée testamentaire de son oncle. Pour effacer les traités de 1815, pour accomplir la politique des nationalités, pour assurer la gloire et la grandeur de la France et la liberté des peuples, pour établir la justice dans le monde, pour satisfaire enfin les illusions et les désirs du peuple français, contrariés depuis trente-cinq ans par la Monarchie légitime, la Monarchie orléaniste et la République parlementaire des conservateurs, il n’y avait qu’un nom, le nom napoléonien, il n’y avait plus qu’un régime à essayer, c’était l’Empire. Comme il avait vu juste, l’Empereur déchu, de son rocher ! L’Empire se reconstituait à l’aide des forces qu’il avait mises en mouvement et des sentiments qu’il avait calculés. Le testament de Sainte-Hélène valait un trône, joyeusement accordé, par sept millions de suffrages, à l’aventurier de Strasbourg et de Boulogne. Mais ce trône, il ne l’eût pas obtenu s’il eût joué un rôle, s’il n’eût pas été sincère. Ce n’est pas seulement parce qu’il représentait les idées et les sentiments de sa génération, c’est parce qu’il les partageait, que Napoléon III a eu cette fortune merveilleuse.

Les dix premières années de son règne furent un enchantement. Depuis longtemps la France n’avait eu un gouvernement avec qui elle se fût sentie en intimité plus complète. On