Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/226

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cinquante ans après avoir inutilement proposé à la France de s’associer à elle pour assurer le repos de l’Europe ; l’expérience de 1855 avait engagé tout son règne. Napoléon avait refermé la porte entr’ouverte sur la destinée.

En vain Drouyn de Lhuys pressait son maître d’accepter. Pendant quinze jours « qui ont décidé de la fin du siècle », selon le mot d’un historien contemporain, quinze jours qui ont décidé aussi, par conséquent, de la guerre de 1914, l’empereur hésita. Il y avait dans son esprit, comme dut le constater son ministre, une résistance qui ne put être vaincue. L’alliance autrichienne, c’était sans doute la raison. Mais c’était l’alliance réactionnaire, l’alliance condamnée par la démocratie. C’était l’alliance impopulaire par excellence, celle qui, depuis Louis XVI, avait perdu les régimes qui l’avaient conclue, celle qui, au moment du mariage de Napoléon Ier avec Marie-Louise, avait irrité la vieille armée. L’alliance autrichienne, c’était celle qui devait faire respecter les traités de 1815, arrêter l’affranchissement des nationalités, empêcher l’unité de l’Allemagne, l’unité de l’Italie. Napoléon III, pour la repousser, n’eut qu’à écouter, avec la voix qui parlait au fond de lui-même, l’opinion publique qui, chez nous, depuis un siècle, restait fidèle à son préjugé et à ses illusions sur la Prusse.

Son parti étant pris, il alla d’ailleurs au bout de son idée. Ce fut l’empereur des Français qui fit ouvrir les portes du Congrès de Paris à la Prusse, que les Anglais, ne pardonnant pas l’attitude de Bismarck, eussent voulu exclure. À ce congrès, déjà, le Piémont, grâce à l’habile politique de Cavour, avait sa place, et la question de l’unité italienne était posée devant l’Europe. Avec Manteuffel, l’unité allemande y entrait. Quant à la Russie, on la coupait de l’Orient, de Constantinople, de la Méditerranée. On la rendait impuissante contre les Turcs dans la mer Noire, et c’était le signe que, les Anglais et nous, nous étions victorieux. Que cinquante ans s’écoulent encore et des troupes anglo-françaises, unies comme devant Sébastopol, combattront pour ouvrir aux Russes le chemin des Dardanelles… Faire et défaire, serait-ce donc le dernier mot de l’histoire ? C’est seulement le sort qui attend toute politique à courte vue et qui se résout en flots de sang.